Love Makossa : Kotto Boy sème de lumineuses poésies
Un an après la sortie de son EP Kotto Boy, l’artiste revient avec son tout premier album, Love Makossa, en deux volumes, composé de 28 titres. Le chanteur, actif sur la scène progressive camerounaise, Kotto Boy, livre avec ce double opus sorti le 14 février 2025 ce que beaucoup considèrent comme un chef-d’œuvre du makossa contemporain. Mais prenons un peu de recul face à tout cet enthousiasme et examinons de manière plus critique ce que le protégé de Lionz Muzik nous propose.
- L'artiste camerounais Kotto Boy
L’album s’ouvre sur l’épique « Muto Ka Wa » (« Une femme comme toi » en langue duala), un morceau de plus de trois minutes dans lequel toutes les signatures de Kotto Boy sont présentes : sa voix caractéristique, le jeu de guitare de Simplice Kegne, les claviers symphoniques de Gofa Beats, et une section rythmique solide composée avec Watzup Magic. Le morceau se construit lentement, avec une rythmique moins militaire, dans une approche qui rappelle le travail de la légende du makossa Ben Decca ou encore des Black Styl.
La pochette de ce disque demeure tout un symbole : l’artiste, vêtu d’une chemise blanche à ficelle noire, est assis près d’un piano à queue rouge passion, le regard tourné vers l’horizon, dans un décor de plage et de cocotiers. Le ton est donné : simplicité et efficacité.
Ce qui frappe à l’écoute, c’est la clarté de la structure des morceaux. On entend partout des échos de « Lumière » et du fantastique « Ewodi », avec Asaba, très plébiscité par le public sur les plateformes de streaming. Cette chanson figurait pourtant déjà dans son EP de 2024. La magie de la musique est décidément étrange.
Kotto utilise invariablement les mêmes procédés stylistiques : une courte introduction avec une note fondamentale soutenue, souvent base de l’accord suivant ; puis l’accord se développe, les cordes s’ajoutent, les percussions se mêlent dans un panaché harmonieux, avant que le chant ne s’élève. Cela rappelle « Aime-Moi » ou encore « I Do » (featuring Mr. Léo), qui sert de jauge de ses capacités dans une teinte pop très bien maîtrisée.
Quatre morceaux oscillent entre le court et acoustique « Edjenguele » (3'21) et le captivant « Amour Aveugle » (3'12), pour se conclure avec l’émouvant « Tu n’es pas sérieux » (2'24) et « Près de moi » (2'28). Thématiquement, l’album semble adopter un ton plus optimiste, avec des paroles traitant d’amour, de vie de couple, de lutte contre toutes formes de violence, sans oublier les valeurs fondamentales qui les accompagnent.
Soyons clairs : musicalement, Love Makossa est excellemment construit. La voix de Kotto Boy n’a peut-être jamais sonné aussi bien, avec une profondeur émotionnelle particulièrement touchante dans « Longue le Esungu », où il aborde les difficultés de la vie. Le jeu de guitare de Simplice Kegne reste d’une élégance rare, précis, tandis que les claviers offrent un soutien polyphonique parfaitement dosé. La production est cristalline : chaque instrument trouve sa place dans le mixage, et les compositions sont soigneusement élaborées avec un souci de dynamique et d’impact. « Femme Rare » montre que le chanteur sait encore créer, sans effort apparent, une épopée en plusieurs actes qui captive l’auditeur.
Habitué à la mélancolie et à la lenteur, Kotto Boy explore ici une pop plus chaleureuse, notamment avec les déchirures de guitare dans « Patience ». La température monte encore de quelques degrés sur « Pardon » et « Ndolo », où Mr. Léo pose sa voix paradisiaque sur une afro-fusion imparable. L’intensité est toujours présente, mais c’est la langueur makossa qui reprend ensuite le relais, portée par de multiples ballades.
Le crooner entre alors dans le Volume 2 par une longue phase de spleen, suivie des harmonies célestes de « Nga Mbembe », « Oipanga Mba », ou encore l’éponyme « Partage ». Seule la pop enlevée du sublime « Ndolami » vient interrompre cette séquence d’intense affliction.
On ne sait pas précisément qui a joué sur le reste de l’album, mais la section rythmique et le claviériste ont réalisé un travail remarquable. Le jeu de batterie est d’un raffinement exemplaire.
La musique de Kotto Boy n’est pas franchement calibrée pour le grand public, pour le dire sobrement. Les chansons sont à la fois brèves et complexes, remplies de refrains accrocheurs et de textures sonores séduisantes. Le tout forme un ensemble cohérent. Si vous êtes amateur du makossa dit « love », vous pouvez acheter cet album l’esprit tranquille : vous serez comblé. Les fans de Locko y trouveront aussi leur bonheur.
Pour ce projet, Kotto Boy a déterré des esquisses musicales remontant aux années 70, voire plus. Les fans peuvent spéculer à loisir sur leur origine : cette guitare saturée sur « Mama » est-elle un hommage à Locko ou à Penda Dallé ? Cette basse soul étrange et ce saxophone ensorcelant séduisent immédiatement. Un bel hymne aux mamans.
Qu’importe, au fond. Kotto Boy a transformé ces fragments en quelque chose de neuf, épaulé par son équipe. Il a également composé de nouveaux morceaux.
Ce qui rend « On fait ça comment » vraiment spécial, c’est sa couleur caribéenne. Ses textes, récités d’une voix froide et distante, créent une tension intrigante avec une musique profondément atmosphérique. L’artiste esquisse des images limpides et mystérieuses à la fois. On suit aisément le fil narratif de « 2 à 2 » ou de « Body Language » (en anglais), tout en ressentant qu’un élément fondamental nous échappe. Dans « Lover », le narrateur finit en beauté ; dans le morceau-titre, la solitude apparaît à la fois comme un soulagement et un voile étouffant dans la quête amoureuse. Sur « Choisi », il reste un observateur et un avocat de la confiance dans les choix de vie conjugale.
Le chanteur change ensuite totalement d’ambiance avec « Danser », dans un amapiano fusionnel, suivi de « Kossa » et « No Stress », pour clore cette fresque sur des good vibes affirmées.
La lecture très lyrique de ce double album Love Makossa 1 & 2 révèle une œuvre de studio qui résiste aux tendances. Il faut d’abord admirer la palette de couleurs déployée par Kotto Boy : bouleversante dans les souvenirs, furieuse l’instant d’après, d’une puissance sans limite dans les aigus, tenus ou piqués, qui sont autant de javelots émotionnels. Le timbre singulier du chanteur révèle sa fragilité, et l’alchimie entre les registres – makossa, amapiano, soul, afropop, essèwè – fonctionne à merveille. Le tout, dans un écrin orchestral luxuriant et une prise de son naturelle.
La sonorité douce et enveloppante est l’une des grandes qualités de ce disque destiné au grand public, sculptée dans des dosages subtils. Les sonorités d’orgue humain et d’instruments à vent confèrent à ce double opus une dimension liturgique et symphonique. Je lui attribue sans hésiter la note de 9/10.
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