La renaissance de l’uhadi et de l’umrhubhe dans l’Afrique du Sud urbaine
Par Geoffrey ‘Diver’ Smuts
Après des décennies de rareté et d’oubli, les arcs musicaux d’Afrique australe connaissent un regain d’intérêt. C’est particulièrement le cas dans les zones cosmopolites des provinces du Cap-Oriental et du Cap-Occidental en Afrique du Sud, où l’intérêt pour la fabrication et l’exécution des arcs musicaux xhosa, uhadi et umrhubhe, croît rapidement.
- La defunte artiste sud-africaine Madosini. Photo : Bow Music Foundation
Les arcs musicaux d’Afrique australe
Les arcs musicaux sont présents dans toute l’Afrique australe, avec des variantes que l’on trouve en Afrique du Sud, en eSwatini, en Angola et au Mozambique. Hormis quelques différences de taille et de structure, la plupart ressemblent à un arc de chasse, avec une seule corde tendue entre les extrémités d’un morceau de bois courbé. Historiquement, les cordes étaient fabriquées à partir de boyaux d’animaux ou de fibres végétales, mais aujourd’hui ces instruments sont le plus souvent montés avec un fil de laiton, ce qui leur confère une résonance accrue.
Chez les Xhosas des provinces du Cap-Oriental et du Cap-Occidental, les deux arcs les plus couramment joués aujourd’hui sont l’uhadi et l’umrhubhe. L’uhadi est le plus grand des deux et comporte généralement une calebasse évidée fixée à l’arc, servant de caisse de résonance pour amplifier le son. Le musicien produit le son en frappant fermement la corde avec une fine baguette de roseau dans une main, tout en pinçant la corde entre le pouce et l’index de l’autre main pour produire différentes notes. L’ouverture de la calebasse, tournée à l’opposé de la corde, est également déplacée d’avant en arrière contre la poitrine pour créer une mélodie à partir des harmoniques.
L’umrhubhe est un arc plus petit, résonné par la bouche. Il est le plus souvent joué en frottant la corde d’avant en arrière avec un roseau ou une baguette raclée (un peu comme pour un violon), tout en utilisant la bouche comme résonateur pour amplifier le son, et une technique de sifflement intérieur pour créer une mélodie. Il peut aussi parfois être joué de manière percussive, en frappant la corde, comme avec l’uhadi.
Un symbole culturel et féminin
Historiquement, l’umrhubhe et l’uhadi représentaient des marqueurs importants de l’enfance et de la féminité chez les jeunes filles et femmes xhosas, et portent de fortes connotations liées aux contes, berceuses et à la nostalgie — ce qui n’a rien d’étonnant pour des instruments souvent décrits comme évocateurs, mystérieux et hypnotiques.
L’impact du colonialisme
Comme de nombreux instruments indigènes sur le continent, l’uhadi et l’umrhubhe ont été systématiquement dévalorisés par les autorités coloniales européennes. Les populations autochtones ont été incitées à considérer les instruments classiques occidentaux et leurs formes musicales comme supérieurs. Cette mentalité, combinée aux conditions du travail migrant à travers le pays, continue d’influencer le statut des instruments traditionnels. Les arcs musicaux, avec leur apparente simplicité de structure et de jeu, ont été jugés « primitifs » et « non sophistiqués ». Encore aujourd’hui, certaines personnes, même culturellement liées à ces instruments, considèrent l’uhadi et l’umrhubhe au mieux comme de simples jouets, au pire comme des vestiges embarrassants d’un passé primitif. Pendant des décennies, le désintérêt était tel que les chercheurs en musique craignaient leur disparition. Jusqu’à récemment, il était rare de trouver des passionnés, même dans les zones rurales — et encore moins dans les milieux urbains où ils étaient quasiment inexistants.
Survie et renaissance
La dernière décennie a toutefois vu un changement important de mentalité, avec une popularité grandissante de ces instruments, notamment dans des villes comme East London, Gqeberha et Le Cap. On le constate au nombre croissant de prestations centrées sur les arcs diffusées à la télévision nationale, proposées lors de concerts en direct ou partagées sur les grandes plateformes de streaming. Cette renaissance est aussi favorisée par des ateliers de fabrication d’instruments africains, des conférences internationales dédiées à la musique des arcs, une couverture médiatique de grands médias et de réseaux indépendants, ainsi qu’une intégration élargie dans les programmes universitaires de musique. Tout indique que la renaissance de la musique des arcs xhosas est bel et bien en marche.
On la doit à quelques spécialistes et gardiens culturels tels que la regrettée Dr Latozi Mpahleni, alias Madosini, Mantombi Matotiyana, le Nqoko Women’s Ensemble et le Professeur Dizu Plaatjies, qui ont œuvré pour préserver cette tradition. Aujourd’hui, une nouvelle génération de facteurs et de musiciens d’uhadi et d’umrhubhe relève le défi de revitaliser ces instruments.
Une nouvelle génération et des collaborations
Parmi les figures les plus marquantes de cette nouvelle vague, on trouve Mthwakazi, Luyolo Lenga, Indwe, Dumama, Thandeka Mfinyongo et Odwa Bongo. Ces artistes explorent des voies innovantes pour intégrer l’uhadi et l’umrhubhe à divers contextes musicaux, des fusions avec le folk, le jazz ou la musique classique occidentale, jusqu’à des installations artistiques et des voyages sonores.
Grâce à des collaborations récentes avec des musiciens jouant des arcs xhosas, des artistes de la scène populaire comme Msaki, Neo Muyanga et Zolani Mahola participent aussi à la visibilité de l’uhadi et de l’umrhubhe, tout comme les puissantes installations du céramiste Andile Dyalvane et de l’artiste sonore Mntana WeXhwele.
Grâce à ces efforts, même les aînés de la tradition bénéficient d’une reconnaissance accrue ces dernières années. En 2019, Mantombi Matotiyana a sorti son premier album à l’âge de 87 ans, et en 2020, Madosini a été mise à l’honneur comme artiste vedette du National Arts Festival sud-africain (Standard Bank) et a reçu un doctorat honorifique en musique de l’Université de Rhodes.
Nouvelles perspectives
Les innovations récentes dans la fabrication des arcs musicaux — comme l’ajout de chevilles d’accordage ou de micros intégrés pour une meilleure amplification — élargissent les possibilités de composition et de collaboration entre plusieurs genres.
Cette renaissance s’accompagne aussi d’évolutions culturelles intéressantes, en réponse aux attentes d’une jeune génération : assouplissement des anciennes associations de genre, renforcement du lien avec les croyances spirituelles et les pratiques rituelles des amaXhosa. Pour beaucoup, ce renouveau est à la fois personnel et politique, et nombreux sont ceux qui considèrent leur travail comme un acte de guérison spirituelle, pour eux-mêmes comme pour une jeunesse désabusée dans l’Afrique du Sud post-apartheid.
Fait encourageant, d’autres arcs musicaux d’Afrique australe — dont les équivalents zoulous de l’uhadi et de l’umrhubhe, l’umakhweyana et l’ughubhu — bénéficient d’un regain d’intérêt similaire, augurant d’une renaissance nationale de la musique des arcs.
En popularisant ces arcs musicaux, ces artistes et leurs collaborateurs ne se contentent pas de célébrer des sons et des valeurs musicales autochtones : ils contribuent à raviver les savoirs traditionnels dans leur ensemble, offrant ainsi des perspectives uniques et indispensables sur le paysage sociopolitique sud-africain.
[ Cet article a été originalement écrit et publié en anglais dans le cadre du Projet de fabrication et de réparation d’instruments.]
Sources et lectures complémentaires :
https://bowmusicfoundation.org/musical-bows-in-southern-africa/(link is external)
https://journals.co.za/doi/epdf/10.10520/AJA02562804_764(link is external)
https://nationalartsfestival.co.za/news/2020-featured-artist/(link is external)
https://humanities.uct.ac.za/college-music/african-music(link is external)
https://baz-art.co.za/what-we-do/projects-and-murals/jhb-modosini-x-msaki(link is external)
https://letsgetlocal.co.za/meet-odwa-bongo-healing-the-hurt-and-reviving-the-uhadi/
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