
Entretien exclusif avec Seckou Keita : « La kora est une mémoire vivante, un pont entre passé et futur »
Dans le cadre du projet Instrument Build and Repair (IBR) de Music in Africa – une initiative dédiée à la sauvegarde et à la transmission des instruments traditionnels africains – nous vous proposons cet entretien exclusif avec l'artiste chanteur sénégalais Seckou Keita, l’un des plus grands virtuoses de la kora au monde. À travers ses mots, découvrez comment cet instrument ancestral incarne la mémoire et l’âme musicale de l’Afrique de l’Ouest.
- Seckou Keita
Lamine Ba (Music In Africa) : Seckou Keita, vous êtes reconnu comme l’un des plus grands virtuoses de la kora aujourd’hui. Avant d’entrer dans le vif du sujet, pouvez-vous nous raconter ce que représente la kora pour vous ?
Seckou Keita : La kora, c’est bien plus qu’un instrument, c’est un héritage. Elle porte en elle l’histoire et les valeurs de mon peuple, les Mandingues. Chaque corde résonne avec les épopées, les conseils des anciens, la sagesse transmise de génération en génération. Quand je joue, j’ai l’impression d’être un messager entre le passé et le présent.
Lamine Ba : Justement, parlons un peu de son histoire. On sait que la kora est un instrument emblématique d’Afrique de l’Ouest, mais d’où vient-elle exactement ?
Seckou Keita : Son origine remonte à plusieurs siècles, principalement dans la région du royaume mandingue, qui s’étendait entre le Mali, la Guinée, le Sénégal et la Gambie. Les anciens racontent que la première kora aurait appartenu à une femme djéli (griotte), ce qui est assez unique, car ce sont traditionnellement les hommes qui en jouent. À l’origine, elle comptait moins de cordes, mais au fil du temps, elle a évolué pour atteindre 21 cordes aujourd’hui.
Lamine Ba : Parlons un peu des aspects techniques. Qu’est-ce qui distingue la kora des autres instruments à cordes ?
Seckou Keita : La kora est fascinante par sa construction et son jeu. Elle est faite d’une calebasse coupée en deux, recouverte d’une peau de vache, avec un manche en bois traversant le tout. Les cordes, en nylon aujourd’hui (anciennement en boyau), sont disposées en deux rangées parallèles, ce qui permet un jeu polyphonique unique. Jouer de la kora, c’est comme jouer de la harpe et de la guitare en même temps. Elle a une sonorité cristalline, qui peut être aussi bien mélancolique que joyeuse.
Lamine Ba : On la retrouve aujourd’hui dans beaucoup de styles musicaux. Comment voyez-vous son évolution dans la musique moderne ?
Seckou Keita : C’est essentiel pour moi que la kora continue d’évoluer. Je l’ai intégrée dans des collaborations avec des musiciens du monde entier, du jazz aux musiques électroniques. Cela lui permet d’exister en dehors des contextes traditionnels, de toucher de nouveaux publics. Mais attention, il ne faut jamais perdre son âme. L’innovation doit respecter la tradition.
Lamine Ba : Une autre question cruciale est celle de la transmission. Beaucoup de jeunes s’intéressent à la kora, mais comment préserver cet art ?
Seckou Keita : La transmission est au cœur de ma mission. Avant, l’apprentissage se faisait uniquement dans les familles de griots. Aujourd’hui, je donne des cours à des jeunes de divers horizons, notamment en Europe et en Afrique. Les écoles de musique commencent aussi à inclure la kora dans leurs programmes. Mais au-delà de la technique, il faut transmettre son essence : la patience, l’écoute et le respect des traditions.
Lamine Ba : Enfin, quel message aimeriez-vous adresser aux nouvelles générations d’artistes qui souhaitent jouer de la kora ?
Seckou Keita : Jouer de la kora, c’est embrasser une histoire et la faire vivre. Je dis toujours aux jeunes : respectez l’instrument, comprenez son passé, mais osez aussi explorer. La kora doit continuer de vibrer dans le monde moderne sans perdre son âme. C’est ainsi qu’elle restera éternelle.
Lamine Ba : Merci Seckou pour ce bel échange !
Seckou Keita : Merci à vous !
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