
Mpho Molikeng : Le rôle des instruments traditionnels dans la construction de l’identité musicale africaine
Mpho Molikeng est un artiste aux multiples facettes originaire du Lesotho, qui s’est forgé une carrière remarquable en tant que conservateur, musicien, acteur, militant culturel et entrepreneur.
- Mpho Molikeng est un artiste aux multiples facettes originaire du Lesotho. (Photo). Mpho Molikeng Music
Le parcours artistique de Molikeng a commencé par une formation formelle en arts visuels et dramatiques, qui l’a conduit sur la scène dynamique du spectacle à Johannesburg. Malgré les difficultés rencontrées au début de sa carrière en tant que travailleur indépendant, il a persévéré et a fini par rejoindre Drum Café, où il a perfectionné ses compétences en percussions. Désireux de renouer avec ses racines basotho, il a fait taire les sceptiques en maîtrisant le lesiba, un instrument traditionnel rare, malgré les remarques selon lesquelles il était trop âgé pour l’apprendre.
Par la suite, Molikeng a contribué à la revitalisation de la culture carnavalesque en Afrique du Sud, en aidant à mettre en valeur les artefacts musicaux d’Afrique australe.
C’est cet engagement continu qui l’a amené à être le conservateur de l’Exposition des instruments de musique indigènes de la Music In Africa Foundation, qui s’est tenue à la galerie de l’Université de Johannesburg du 17 février au 14 mars 2025.
L’exposition, qui présentait près de 100 instruments traditionnels africains, offrait une exploration immersive de l’héritage musical diversifié du continent. Bien plus qu’une simple exposition, l’événement avait une grande valeur éducative, constituant une expérience essentielle pour toute personne s’intéressant à la musique africaine et à l’évolution des instruments indigènes à travers les siècles.
Avant l’exposition, Molikeng s’est entretenu avec Ano Shumba de MUSIC IN AFRICA pour discuter de la signification culturelle de l’événement, du processus de curation et des défis liés à l’organisation d’une exposition d’une telle envergure.
MUSIC IN AFRICA : Pouvez-vous nous expliquer le processus de curation d’une telle exposition ?
MPHO MOLIKENG : La curation d’une exposition de cette nature exige une approche réfléchie et nuancée. Beaucoup des instruments exposés ont une valeur culturelle et émotionnelle importante, et leur signification peut varier énormément d’une personne à l’autre. En tant que conservateur, il est essentiel de trouver un équilibre entre la mise en valeur de la diversité du patrimoine musical africain et l’exercice de la liberté artistique. L’objectif final est de créer une exposition qui permette aux Africains de se sentir vus, entendus et représentés, tout en offrant une expérience significative à tous les visiteurs.
Quels défis avez-vous rencontrés lors de la préparation de cette exposition ?
Les défis sont inévitables, et ce projet n’a pas fait exception. L’un des principaux obstacles est de rassembler une collection d’instruments qui restent pertinents à une époque dominée par la musique générée par ordinateur. Un autre défi est la gestion du temps ; on sous-estime souvent le temps nécessaire pour accomplir une tâche, pour ensuite se retrouver à courir contre la montre.
Quel message ou quelle histoire souhaitez-vous que les visiteurs retiennent de cette exposition ?
J’espère que les visiteurs retiendront deux choses principales après avoir visité cette exposition : premièrement, que l’Afrique est un continent d’une richesse et d’une diversité culturelles immenses ; deuxièmement, que la musique est une partie intégrante de l’identité et de l’être africains. Ce n’est pas seulement une forme de divertissement, comme on la perçoit souvent, mais un élément essentiel de qui nous sommes, profondément ancré dans notre culture et nos traditions.
Pourquoi pensez-vous que cette initiative est importante ?
Il est essentiel de reconnecter les gens à leurs racines culturelles et musicales, notamment à travers les instruments de musique qui servent de lien vital avec notre héritage. Ces instruments sont une partie précieuse de notre identité culturelle, et il est crucial de les préserver et de les protéger pour les générations futures.
Si vous ne pouviez présenter que cinq instruments dans cette exposition, lesquels choisiriez-vous et pourquoi ?
Choisir seulement cinq instruments pour une exposition est une tâche difficile, un peu comme demander à un parent de choisir son enfant préféré. C’est une décision impossible. Cependant, si je devais réduire ma sélection, je commencerais par le lesiba. Cet instrument occupe une place particulière dans mon cœur, car c’est grâce à lui que j’ai décidé de me consacrer à la préservation des instruments africains, plutôt que de poursuivre une carrière dans les sciences ou le théâtre. Le lesiba est un instrument unique dont les mélodies sont apaisantes et thérapeutiques. J’inclurais également la pierre à moudre, appelée ts’iloana ou leloala, qui, bien qu’elle ne soit pas un instrument de musique conventionnel, a joué un rôle essentiel dans notre patrimoine culturel. Pendant des générations, les femmes utilisaient ces pierres pour moudre les céréales en chantant des chansons qui transmettaient les traditions et les histoires. L’arrivée des moulins industriels a peut-être amélioré l’efficacité, mais elle a aussi réduit l’expression créative de nos femmes. La famille des mbira a une importance spirituelle pour moi, suscitant des émotions qui élèvent mon âme. Et bien sûr, les tambours sont essentiels, car ils ont le pouvoir de recentrer nos émotions, de nous élever ou de nous submerger. Chacun de ces instruments offre une perspective unique sur notre riche patrimoine culturel.
Y a-t-il des instruments que vous auriez voulu inclure mais que vous n’avez pas pu ?
Idéalement, j’aimerais exposer tous les instruments de l’Afrique, représentant chaque recoin du continent. Rien qu’en Afrique australe, on compte plus d’un millier d’instruments, chacun ayant une fonction unique. Cependant, c’est une tâche ardue de tous les rassembler, d’autant que certains ont malheureusement disparu pour diverses raisons. Ma collection rêvée inclurait une grande variété d’instruments, y compris ceux traditionnellement joués par les enfants, les femmes et les hommes. Les instruments les plus rares et insolites seraient particulièrement précieux.
Quels autres instruments ajouteriez-vous si vous aviez plus d’espace ou de ressources ?
Il y a quelques Africains visionnaires qui continuent à réinventer et à réimaginer les instruments traditionnels. L’un d’eux est un artiste visuel du Limpopo qui transforme des objets du quotidien, y compris des avions, en tambours extraordinaires. Son travail est vraiment exceptionnel, bien qu’il soit très coûteux.
Je serais également honoré de présenter des instruments personnels ayant appartenu à des musiciens légendaires tels que Stella Chiweshe, Madosini et le regretté Ali Farka Touré. Exposer ces instruments serait un hommage au riche patrimoine culturel de la musique africaine et un hommage aux pionniers qui ont ouvert la voie aux générations futures.
Comment avez-vous décidé quels instruments devaient figurer dans l’exposition ?
Lors de la curation de cette exposition, trois facteurs clés entrent en jeu : la disponibilité, la pertinence et, surtout, l’identité et la culture uniques de l’exposition. Pour se démarquer des autres expositions d’instruments de musique africains qu’on peut voir dans le monde, notre exposition doit offrir une perspective et une expérience distinctes.
Y a-t-il des instruments uniques ou rares dans cette collection ? Et pourquoi sont-ils uniques ?
Parmi les nombreux instruments fascinants exposés, j’ai une affection particulière pour les pierres chantantes de Namibie, la pierre à moudre (ts’iloana/leloala) et l’arc terrestre. Ce qui m’attire chez ces instruments, c’est qu’ils défient les idées reçues sur ce qu’est un instrument de musique, mettant en valeur la créativité et l’ingéniosité des traditions musicales africaines.
Comment ces instruments traditionnels reflètent-ils la culture et l’héritage africains ?
Ces instruments témoignent de l’ingéniosité humaine, montrant comment les peuples ont su travailler en harmonie avec la nature pour obtenir des résultats extraordinaires grâce à des méthodes simples mais efficaces. Cette synergie est enracinée dans une profonde compréhension et une grande appréciation du monde naturel et de notre place en son sein.
Comment les Africains peuvent-ils préserver et promouvoir leurs instruments ?
Notre approche commence par l’exposition, puis une documentation approfondie. Mais surtout, nous devons éduquer nos enfants sur ces précieux instruments dès le plus jeune âge. En transmettant ce savoir et cette appréciation aux générations futures, nous pouvons assurer la préservation et la célébration à long terme de ces trésors culturels.
Quelles sont les deux chansons dont vous êtes fier en raison de l’utilisation des instruments africains ?
Certains musiciens ont su mettre en valeur la beauté des instruments traditionnels africains dans leurs œuvres. Par exemple, Thaba Bosiu de Hot “Stix” Mabuse intègre habilement le lesiba dans l’une de ses chansons. L’album live de Salif Keita, qui présente des instruments de musique indigènes maliens, est également un coup de cœur pour moi. De plus, Ancestral Calling de mon frère Pops Mohamed est un autre excellent exemple d’utilisation d’instruments traditionnels pour créer une musique puissante.
Cet article a été originalement écrit et publié en anglais dans le cadre du Projet de fabrication et de réparation d’instruments.
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