
Afrique Du Sud : La renaissance de l'umakhweyana et de l'ugubhu
Par Thobekile ‘Ntomb’Yelanga’ Mbanda
Lors d’une conversation avec mes élèves de 6e année (primaires), je leur ai demandé ce qu’ils pensaient des instruments de musique autochtones. Ils ont répondu avec enthousiasme : « Ce sont des instruments que plus personne ne joue. »
- Photo de l’umakhweyana.
Il s'agit d'une idée reçue fréquente, et malheureusement, elle n’est que partiellement fausse – de nombreux instruments traditionnels sud-africains, comme l’umakhweyana et l’ugubhu (deux types d’arcs musicaux), ne sont plus enseignés dans les écoles. Ces instruments sont souvent absents des programmes scolaires, et peu de gens, en dehors de certaines communautés, connaissent leur beauté et leur importance.
Mais cela ne signifie pas qu’ils ont disparu. Bien au contraire, ils sont encore bien vivants, et certaines personnes s’investissent corps et âme pour qu’ils ne tombent pas dans l’oubli. L'une d'elles est la regrettée Gogo Bavikile Ngema, qui a consacré sa vie à préserver et à transmettre l’art de fabriquer et de jouer l’umakhweyana – un arc musical zoulou également utilisé dans les cultures sotho, swati et venda. Lorsque j’ai eu le privilège d’apprendre auprès d’elle, j’ai compris que ces instruments ne se limitaient pas à la musique : ils sont un lien vivant avec la culture, un moyen de raconter des histoires, une voix pour celles et ceux qui en manquent.
L’umakhweyana : bien plus qu’un simple instrument
L’umakhweyana est un arc à corde joué par les Zoulous depuis les années 1830. Il est fabriqué à partir d’un bâton de bois flexible, tendu par un fil de fer, et joué à l’aide d’un bâton ou d’une baguette. Contrairement à un arc utilisé pour le tir à l’arc, il est conçu pour produire de la musique. Ce qui rend l’umakhweyana unique, c’est sa sonorité : sa corde vibre en produisant une mélodie apaisante, presque envoûtante. Lorsqu’on pince la corde et qu’on l’arrête avec la main, deux notes distinctes apparaissent : l’une claire et aiguë, l’autre plus profonde et résonnante. Ces variations subtiles donnent toute sa richesse à l’instrument.
L’ugubhu est un arc non renforcé, fabriqué selon un procédé similaire, mais avec une tige plus courbée.
Les femmes qui ont fait vivre l’umakhweyana
L’une des joueuses les plus célèbres d’umakhweyana et d’ugubhu fut la princesse Constance Magogo Sibilile Mantithi Ngangezinye kaDinuzulu (1900–1984), fille du roi Dinuzulu du royaume zoulou. Malgré les pressions liées à son statut royal, elle n’a jamais cessé de jouer ces instruments. Sa musique a donné une voix à de nombreuses femmes zouloues, racontant leurs histoires, leurs joies et leurs luttes. Grâce à un enregistrement réalisé en 1939 par Hugh Tracey, son œuvre a été préservée pour les générations futures.
Autre figure majeure de cette transmission, Gogo Bavikile Ngema, née en 1951 au KwaZulu-Natal. Elle a appris à jouer de l’umakhweyana en observant ses sœurs, et est devenue une virtuose. Elle s’est également fait connaître pour la fabrication artisanale de ses instruments, choisissant soigneusement les bois et les matériaux afin d’obtenir un son optimal.
La vie de Gogo Bavikile était intimement liée à l’umakhweyana. Elle m’a raconté que son mari lui avait d’abord interdit de jouer après leur mariage, ce qui l’a profondément attristée. Grâce au soutien de sa belle-mère, elle a participé à un concours local – qu’elle a remporté – et son mari a fini par reconnaître avec fierté son talent. Elle dormait même avec son arc posé à côté de son lit, prête à saisir l’inspiration à tout moment.
Même après sa mort, son influence perdure. Elle a enseigné à des musiciens, des étudiants, et à moi-même, à jouer et fabriquer ces arcs au sein de l’Université du KwaZulu-Natal, contribuant à perpétuer la tradition.
Gardiennes et gardiens de la mémoire
Outre ces femmes exceptionnelles, d’autres personnalités ont contribué à la préservation et à la diffusion de l’umakhweyana et de l’ugubhu, enregistrés pour la première fois en public dans les années 1980. Parmi elles : la princesse Phumuzile Mpanza, le roi Solomon, Bangindawo Mpanza (époux de la princesse Phumuzile), Ziphokuhle Nyandu, Uzulu E. Zulu, Brother Clement Sithole, et Mère Adelia Dlamini, religieuse swati qui a joué du makhoyane dans les chants religieux de son église.
Pourquoi ces instruments comptent encore aujourd’hui
À l’ère du numérique et de la musique commerciale, l’umakhweyana et l’ugubhu peuvent sembler dépassés. Pourtant, ils sont tout sauf obsolètes. Ils portent en eux l’âme des traditions musicales zouloues, xhosas, swatis, venda et sotho. Leur renaissance ne vise pas seulement à préserver un son ancien, mais bien à réaffirmer une identité culturelle.
Aujourd’hui, de nombreux musiciens et conteurs comme Zanele Ndlovu, Ceduma Qamata, Ntomb’Yelanga, Zawadi Yamungu, Luyolo Lenga et Thandeka Mfinyongo font revivre ces instruments en les intégrant dans des styles contemporains : folk, jazz, pop, qgom, house… Ils touchent un public jeune et élargissent les horizons de ces sons anciens.
L’umakhweyana et l’ugubhu ne sont pas réservés aux musiciens : ils sont pour toutes celles et ceux qui souhaitent renouer avec leur héritage culturel. En les intégrant dans les écoles, en apprenant aux enfants à les fabriquer et les jouer, nous semons les graines d’un patrimoine vivant. Imaginez chaque école sud-africaine enseignant les instruments autochtones… Ce serait un pont entre le passé et l’avenir.
Comment contribuer à la préservation de cette musique
La survie de l’umakhweyana et de l’ugubhu ne dépend pas uniquement des musiciens – elle dépend de nous tous. Que vous soyez amateur de musique, enseignant·e, ou simplement attaché·e à la culture, vous pouvez jouer un rôle. Soutenez les artistes locaux. Faites connaître leur musique. Et pourquoi ne pas apprendre à en jouer vous-même ? Plus nous participons à la transmission de ces traditions, plus le lien entre passé, présent et avenir se renforce.
En conclusion, l’umakhweyana et l’ugubhu ne sont pas de simples instruments – ils incarnent une part vivante de l’identité musicale et culturelle de l’Afrique du Sud. En les jouant, en les enseignant, et en partageant leur beauté, nous assurons la transmission de cet héritage aux générations futures.
Thobekile Mbanda, connue sous le nom de Ntomb’Yelanga, est autrice de livres pour enfants, chercheuse sur les instruments autochtones, et écrivaine engagée dans la promotion du patrimoine culturel. À travers ses histoires et sa musique, elle conçoit des ressources éducatives, ateliers et travaux de recherche qui valorisent les savoirs indigènes et encouragent les jeunes générations à se reconnecter à leurs racines.
Cet article a été originalement écrit et publié en anglais dans le cadre du Projet de fabrication et de réparation d’instruments.
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