
La musique et la spiritualité du mbira au Zimbabwe : apprendre une tradition vivante
Cet article explore les liens profonds entre la musique mbira, la spiritualité traditionnelle shona et le christianisme au Zimbabwe. À travers une expérience personnelle, l'auteur examine comment la musique mbira sert de pont entre les vivants et les ancêtres, tout en étant un outil éducatif et culturel.
- L'instrument traditionnel, le Nhare Mbira.
Il y a près de 20 ans, j’ai rencontré un vieil homme, VaMoyo, dans les rues de Mkoba, dans le district de Gweru, au Zimbabwe, alors que je marchais en jouant de mon nyunga nyunga mbira. Il s’est arrêté et a engagé la conversation, montrant un grand intérêt pour l’instrument que je jouais. Je tendis le mbira à VaMoyo pour satisfaire sa curiosité.
Il ne le joua pas ; il le tint simplement dans ses mains et dit : « …ndedzevanana, dzekuchikoro. Iwe haufaniri kudzidzira mbira » (c’est pour les enfants. Tu n’es pas censé suivre des cours structurés de mbira). Sur ces mots, il m’invita chez lui, non loin de l’endroit où il m’avait arrêté.
Curieux et captivé, je lui rendis plus tard visite avec un ami, pour découvrir qu’il était guérisseur traditionnel. Il nous accueillit dans son dare (cour traditionnelle), et après que nous nous fûmes assis, il me tendit son nhare mbira et dit : « Unofanira kuridza mbira idzi kana wakumbirirwa » (Tu devrais jouer ce mbira, mais à condition que nous demandions la permission...).
Sachant que ce processus impliquait d’invoquer les ancêtres, j’étais partagé entre l’acceptation et l’hésitation. Je lui demandai la grâce de solliciter la permission de mes parents. Lorsque j’annonçai la nouvelle chez moi, ma mère, membre d’une secte apostolique, refusa immédiatement. Cela allait à l’encontre de ses croyances religieuses. La réaction de ma mère n’était pas déraisonnable, car il y a toujours eu une tension entre la religion traditionnelle africaine et le christianisme, tension qui affecte souvent la production et la consommation de musique.
Plus tard, devenu adulte, j’ai rencontré une autre personne douée spirituellement, cette fois-ci issue de l’église de ma mère. Ce que cette personne a dit, combiné à ce que j’ai appris sur moi-même et la musique, m’a conduit à croire, sans aucun doute, que la musique peut servir de canal pour communiquer soit avec les vadzimu (ancêtres), soit avec les ngirozi (anges), selon les croyances de chacun.
J’espère qu’avec cette anecdote personnelle, j’ai réussi à poser le cadre sur l’interconnexion entre la musique, le christianisme et le culte des ancêtres.
La rencontre avec VaMoyo fut mon premier aperçu de la relation complexe entre la musique mbira, la tradition et la spiritualité, une connexion qui continue de façonner ma compréhension de cet art vivant.
On croit souvent que si les ancêtres d’une personne jouaient du mbira, ils reviendront en rêve pour enseigner à leurs descendants comment le jouer. Bien que cette croyance soit ancrée dans la tradition, elle n’est pas universellement vérifiée. D’après mon expérience, tous les joueurs de mbira ne sont pas guidés par la possession ancestrale, et tous les types de mbira ne sont pas destinés à invoquer une connexion spirituelle. Le nyunga nyunga, par exemple, n’est nullement associé à la possession spirituelle ou aux rêves ancestraux. Le nyunga nyunga mbira, associé au Kwanongoma College of Music, est plutôt utilisé dans des contextes éducatifs et de divertissement. Il trouve ses racines au Mozambique, parmi le peuple Nyungwe, et a été introduit au Zimbabwe par Jeke Tapera.
Au départ, le nyunga nyunga mbira comptait 13 lames, mais deux ont été ajoutées par Andrew Tracey et son équipe du Kwanongoma College of Music à Bulawayo, portant le total à 15. Aujourd’hui, il n’est pas rare de trouver un nyunga nyunga mbira avec plus de 15 lames, car les joueurs et les fabricants de mbira continuent d’innover, élargissant à la fois le nombre de lames et la portée de l’instrument. Le fait que le nyunga nyunga soit généralement joué pour le plaisir personnel, l’enseignement ou les performances non spirituelles explique peut-être pourquoi les joueurs sont moins enclins à associer leur pratique à des rêves spirituels.
L’affirmation de VaMoyo selon laquelle le nyunga nyunga est « pour les enfants » ne doit pas être prise au pied de la lettre. Vakuru peut aussi désigner les midzimu (ancêtres), comme le chante Chiwoniso Maraire dans « Vanorapa », un morceau de son album Rebel Woman. Certains des musiciens les plus notables du Zimbabwe, comme le défunt Dumi Maraire, Chiwoniso Maraire et Hope Masike, ont construit leur carrière en jouant du nyunga nyunga. Peut-être que VaMoyo voulait aussi dire que, lorsqu’on se consacre sérieusement à l’invocation des esprits ancestraux, on ne joue pas du nyunga nyunga, mais du nhare mbira.
Aussi appelé mbira dzevadzimu (mbira des ancêtres), le nhare mbira est sans doute l’instrument zimbabwéen le plus reconnu dans le monde. Le nhare mbira est au cœur de la spiritualité traditionnelle shona et est vénéré pour sa capacité à invoquer les esprits (vadzimu), créant un canal pour obtenir des conseils, des bénédictions et des guérisons. Le nom nhare, qui signifie « téléphone », est une métaphore appropriée pour un instrument qui permet aux vivants de communiquer avec les morts lors des cérémonies bira. Ces cérémonies ne sont pas seulement des rassemblements spirituels, mais aussi des moments de préservation culturelle, où musique, danse et traditions orales se rejoignent.
Cependant, il est important de noter que toutes les chansons ne conduisent pas à la possession spirituelle, et qu’aucun joueur ne peut simplement jouer pour provoquer cette possession. Chaque homwe (personne dotée de la capacité d’être possédée) a des chansons spécifiques qui la guident dans la transe. De même, les maîtres joueurs de mbira savent quelles chansons jouer et, selon certains, même quelles lames accentuer pour que la possession ancestrale ait lieu.
Malgré leurs différences, ces deux types de mbira sont désormais enseignés dans les écoles et partagent une organologie similaire. La principale distinction réside dans le nombre de lames : 15 pour le nyunga nyunga et 21 à 24 pour le nhare mbira. Pour les deux mbiras, les lames métalliques sont fixées sur une planche sonore en bois (gwariva), souvent placée dans un résonateur (deze) fabriqué à partir d’une calebasse ou de bois. Les deux types de mbira portent souvent des majaka (capsules de bouteilles) fixés dessus pour produire un bourdonnement percussif caractéristique. Pour le nhare mbira, l’accordage varie, avec des tonalités populaires comme nyamaropa et dambatsoko, chacune évoquant des émotions uniques. Les fabricants de mbira sont soit formés dans des institutions comme la Midlands State University, soit auprès d’artisans villageois.
La meilleure méthode pour apprendre le mbira est l’apprentissage par imitation, où un joueur expérimenté initie un novice à des chansons, en lui enseignant diverses techniques de jeu, rythmes et significations contextuelles des morceaux. Bien que certains joueurs utilisent une notation chiffrée comme aide, cette méthode ne parvient pas à capturer le rythme. Par exemple, deux chansons peuvent partager la même progression mais différer considérablement dans leur rythme, une distinction que la notation chiffrée ne peut transmettre. Un exemple est la chanson "Kashiri Kamambo", qui utilise le mode Nhemamusasa mais comporte une syncope qui la distingue. De plus, la musique mbira n’est pas jouée pour être reproduite note pour note comme une partition. Au contraire, les musiciens de mbira jouent ce qu’ils ressentent, guidés par l’énergie et l’humeur du moment. Cette qualité improvisée est essentielle à l’interprétation du mbira et souligne son lien profond avec les contextes communautaires et spirituels.
Aujourd’hui, certaines des ressources les plus accessibles pour apprendre le mbira se trouvent en ligne, notamment sur YouTube. Cependant, les expériences d’apprentissage les plus authentiques et enrichissantes se trouvent toujours dans les communautés qui possèdent et vivent cette musique. Lorsqu’on découvre le mbira auprès de ses gardiens, on peut constater, comme moi, que le mbira n’est pas simplement un instrument, mais une manière de comprendre le monde.
En réfléchissant à mon parcours avec le nyunga nyunga mbira, je me demande si ses dons peuvent se transmettre après la mort. Si je devais mourir et revenir en tant que shavi, un esprit errant censé accorder des dons aux vivants, la personne que je posséderais rêverait-elle des chansons de nyunga nyunga ? Se réveillerait-elle un jour en sachant instinctivement comment jouer les mélodies que j’ai tant aimées, ou aurait-elle, comme moi, besoin d’un enseignement structuré pour en percer les secrets ? Je n’ai pas de réponse, mais je sais que le mbira, sous toutes ses formes, entretient un lien profond avec ceux qui en jouent.
Dans tout cela, le nhare mbira demeure un pont vers le royaume ancestral, garantissant que leur sagesse et leur présence restent une part durable de nos vies.
Dr Innocent Tinashe Mutero est doublement diplômé en ethnomusicologie et en études de la paix. Ses recherches explorent l’efficacité de la musique dans l’amélioration du bien-être relationnel. Il enseigne l’interprétation du mbira dans le cadre du projet African Music and Dance à l’Université du KwaZulu-Natal.
Cet article a été originalement écrit et publié en anglais dans le cadre du Projet de fabrication et de réparation d’instruments.
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