Fatoumata Diawara : « Pour moi la musique, c’est se présenter au monde tel que l’on est »
Tête d’affiche de la 25e édition du Festival Standard Bank Joy Of Jazz, la chanteuse malienne, Fatoumata Diawara a ébloui l’audience de la scène Conga, au Sandton Convention Center. Avec sa tenue de scène régalienne, son riff de guitare et ses mélodies en bambara, qui allient douceur et puissance, Fatoumata fut l’un des moments forts de cette édition.
Plus tôt dans la matinée, lors de la conférence de presse organisée avant le festival, Fatoumata Diawara s'est entretenue avec notre rédaction.
Parée de cauris dans sa coiffure et d’une veste multicolore aux imprimées africains, Fatoumata est immédiatement reconnaissable au rooftop bar de la terrasse de l’hôtel Sandton Sun. Elle est clairement l’artiste la plus convoitée de cette conférence de presse, à en juger par l’activité de journalistes et vidéo/photographes autour de sa table.
« She is an interviewer gem! » (NDLR :« Elle est une perle pour les journalistes ! »), me glisse avec un large sourire satisfait une journaliste qui vient de finir son entrevue avec elle. Peu de minutes après, j’en fais moi-même le constat. En effet, malgré le délai court imparti aux différents journalistes, Fatoumata est gracieuse et généreuse avec son temps et ses réponses. Je retrouve ce « désir apparent de transmettre un message (...) », ressenti par mon collègue, lors de son passage au Sénégal, il y a presque un an.
« Je suis particulièrement émue, car c’est la toute première fois que je me produis en Afrique du Sud. Cette Afrique du Sud, qui est tellement ancrée dans l’histoire. Tu ne peux pas parler de l’Afrique du Sud, sans parler de son histoire, sa culture et ses grands artistes : Miriam Makeba, Hugh Masekela, Busi Mhlongo, etc. », déclare-t-elle, alors que nous démarrons notre discussion.
Fatoumata s'étend longuement sur cette connexion qu’elle ressent envers le pays de Mandela. « Ce pays a marqué tous les africains, et bien que je vienne ici pour la première fois, j’ai l’impression de revenir dans un pays auquel j’ai toujours appartenu. J’ai toujours aimé sa culture forte, ses couleurs, ses vêtements traditionnels, bien que j’aie l’impression tout ceci est en train de disparaître un peu. D’ailleurs, dans mes concerts, je porte souvent des tenues de scène inspirées de l’Afrique du Sud, sans y être déjà venue ». En effet, c'est vêtu d’un chapeau traditionnel zulu, que Fatoumata apparaît sur scène le premier soir du festival.
« Me produire donc ce soir pour la première fois dans ce pays est un moment très important pour moi. Cela ne sera pas juste un concert comme un autre, mais un moment fort de ma carrière. » , conclut-elle.
Le festival Standard Bank Joy Of Jazz se déroule annuellement au mois de Septembre, mois devenu au fil du temps le « Heritage Month », dédié à la célébration du patrimoine culturel sud-africain, comme je le lui explique. « Comment faites-vous pour rester attachée à vos racines maliennes et africaines tout en essayant de séduire une audience mainstream internationale ? ». Notre conversation évolue sur le thème de l’identité artistique, la préservation de la culture et les femmes africaines qui l’ont inspirée.
« Je pense que c’est une décision qu’un artiste doit prendre dès le début de sa carrière. La façon dont tu te présentes à ton audience est ce que celui-ci va retenir. Par exemple, si tu lances ta carrière en chantant en anglais ou en français, c’est que l’audience va capter de toi et ils ne voudront plus que tu fasses autre chose. Moi dès le départ, j’ai décidé que je voulais être la continuité de toutes ces grandes dames d’Afrique : Miriam Makeba, Angélique Kidjo, Oumou Sangare… Toutes ces chanteuses qui, au travers de leurs combats et leurs causes, ont réussi à se faire entendre dans le monde entier, tout en restant elles-mêmes. Ces dernières ont toujours chanté dans leurs différentes langues africaines, et elles sont toujours restées fidèles à, et fières de leur culture africaine. Elles se sont toujours présentées en tant que chanteuses africaines et pas autres choses. Elles ont remporté des Grammys et nombreuses autres récompenses avec cette identité africaine. »
On peut sentir que cette question d’identité culturelle et d’authenticité est importante pour Fatoumata et fait partie de son ADN artistique. Elle parle avec une voix douce et posée mais passionnée.
Elle continue : « Ceci a toujours été clair pour moi dès le début. Ces femmes sont mes idoles et je suis leur parcours. Je me dis que la jeune génération n’a pas besoin d’aller chercher de l’inspiration ailleurs, car toutes ces femmes que je viens de citer sont nos propres modèles (...) ».
« (…) D’ailleurs en regardant cette nouvelle génération d’artistes africains. Beaucoup, s’enferment dès le début dans des styles qui ne sont pas les leurs et qui les limitent. À ce rythme-là, j’ai des craintes pour l’avenir de la musique africaine et que dans le futur, il n’y ait plus vraiment de chanteuses qui représentent la femme africaine. » , déplore-t-elle.
« Ces chanteuses ont été applaudies dans le monde entier, avec leurs foulards, leurs tenues en Bazin, en Wax, en Bogolan. Je me demande donc ce qui ne m’a pas été compris par les jeunes générations qui veulent tout prix, adopter un style, une modernité qui, à la longue, on n’en sait pas où elle va nous conduire. »
« Je dirais que ma musique est open-minded (NDLR : Open-minded veut dire ouvert d’esprit en anglais.), car je me permets d’avoir des influences, jazz, pop, rock and roll, blues, mais la racine reste malienne. C’est d’ailleurs pourquoi je ne chante que dans ma langue natale, le bambara, même si je place des phrases en français et en anglais dans certaines chansons. J’affiche mon identité clairement et avec fierté. C’est cela qui me fait tourner depuis de nombreuses années, dans le monde entier. » Conclut-elle.
Pour conclure, je lui demande comment elle fait pour établir une connexion avec une nouvelle audience comme celle du Festival. Surtout avec cette partie de l’audience qui n’est peut-être pas familière avec son style musical ou son répertoire.
« Lors de mes prestations, je porte en moi le Mali, l’Afrique et je présente ma vision de la musique. Car pour moi, c’est cela la musique : se présenter au monde tel que l’on est. J’ai commencé ma carrière musicale en me produisant dans les bars à Paris. Paris étant une ville cosmopolite, j’ai commencé très tôt à me produire devant une audience diverse, comprenant des gens d’origine sénégalaise, nigériane, française, congolaise, malgache, des Britanniques, des Américains, etc. Ces débuts, ont forgé cette carrière internationale et m’ont aidé pour me constituer un bagage, qui aujourd'hui, m’aide à me produire devant toutes sortes d’audiences, aux quatre coins du monde. ».
L'interview est disponible en anglais ici.
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