La présidence sud-africaine du G20 : une opportunité pour inscrire les arts et la culture au cœur de l'agenda africain
La Déclaration de Rio de Janeiro du G20, adoptée en novembre 2024, propose un cadre pour le secteur mondial des arts et de la culture. Elle reconnaît l’immense valeur de la culture dans la promotion de l’unité, de la durabilité et du dialogue. Pour l’Afrique, c’est un moment crucial. Pourtant, bien que la déclaration adopte un ton ambitieux, elle soulève une question plus profonde : ces engagements peuvent-ils vraiment transformer la réalité quotidienne de ceux qui travaillent dans le secteur des arts et de la culture ? À travers le continent, la liberté artistique et le développement culturel ne sont pas des objectifs abstraits ; ils sont étroitement liés aux luttes quotidiennes pour la visibilité, la sécurité et la reconnaissance.
Le G20, qui s’est initialement concentré sur la stabilité économique, a évolué pour aborder des défis mondiaux plus larges, notamment le commerce, le développement durable, la santé, l’énergie et la lutte contre la corruption. À la clôture du sommet le 18 novembre, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva a transmis le marteau cérémonial au président sud-africain Cyril Ramaphosa. Cela a marqué un moment historique, puisque l’Afrique du Sud est devenue le premier pays africain à assumer la présidence du G20. Le président Ramaphosa a déclaré que le développement de l’Afrique serait au cœur de l’agenda du G20, en insistant sur le thème de la présidence : Solidarité, Égalité et Durabilité.
Ramaphosa a exposé les priorités de l’Afrique du Sud, notamment la promotion d’une croissance économique inclusive, l’amélioration de la sécurité alimentaire et l’exploration des opportunités offertes par l’intelligence artificielle. Le ministre de l’Administration publique, Inkosi Mzamo Buthelezi, a réaffirmé ces objectifs, mettant en lumière l’engagement de l’Afrique du Sud envers l’Agenda 2030 pour le développement durable, avec un accent sur la réduction des flux financiers illicites et la lutte contre la corruption. La vice-ministre Pinky Kekana a ajouté que la présidence donnerait la priorité à la réduction de la pauvreté, à la construction d’un État compétent et à la promotion d’une croissance inclusive.
Mais qu’en est-il de la culture ? Malgré ces priorités vastes, le secteur des arts et de la culture n’a pas encore trouvé sa place dans ces discussions. Pourquoi la culture est-elle encore perçue comme secondaire, malgré son potentiel à stimuler l’économie et à créer des emplois ? Les déclarations des ministres reflétaient des objectifs de développement traditionnels, mais n’ont fait aucune mention du rôle de la culture dans la réalisation de ces ambitions. Cette omission flagrante met en lumière un schéma ancien : des plateformes comme le G20 négligent souvent le potentiel transformateur de la culture.
La culture est bien plus qu’un simple divertissement ou patrimoine ; elle est un moteur économique, un vecteur de cohésion sociale et une force d’innovation. Pourtant, l’investissement public dans la culture reste l’un des défis les plus urgents en Afrique. L’engagement des États membres de l’Union africaine à allouer 1 % des budgets nationaux à la culture d’ici 2030 est prometteur, mais la réalité est souvent en deçà des attentes. Par exemple, la Zambie alloue moins de 0,1 % de son budget national à la culture, malgré son potentiel à diversifier l’économie. De même, l’Ouganda et le Zimbabwe souffrent d’un sous-financement chronique, les projets culturels étant souvent relégués ou mal gérés.
Le 8 novembre, les ministres de la Culture du G20 se sont réunis à Salvador de Bahia, au Brésil. Cette réunion a abouti à un engagement conjoint visant à augmenter les investissements dans les politiques culturelles en se concentrant sur quatre priorités : la diversité culturelle et l’inclusion sociale ; l’environnement numérique et les droits d’auteur ; l’économie créative ; et la préservation, la sauvegarde et la promotion du patrimoine culturel et de la mémoire. Mais l’absence de ces points dans la Déclaration des dirigeants du G20 reflète la marginalisation persistante de la culture dans les conversations politiques mondiales.
La liberté artistique, un thème clé de la Déclaration du G20, représente un autre défi pour l’Afrique. Des pays comme le Mozambique et l’Ouganda continuent de lutter contre l’autocensure et la dépendance à la bonne volonté politique. Sans protections juridiques solides ni systèmes de soutien diversifiés, l’expression artistique reste vulnérable aux interférences politiques et à l’insécurité économique. Bien que l’accent mis par le G20 sur une rémunération équitable et des conditions de travail décentes pour les travailleurs culturels soit encourageant, comment ces engagements peuvent-ils se traduire par un changement réel pour les artistes africains ? Qui défendra leurs droits en leur nom ?
L’innovation numérique et l’intelligence artificielle représentent à la fois une opportunité et un risque pour les industries créatives africaines. Alors que des plateformes comme YouTube et Spotify ont amplifié la portée des artistes africains, la faiblesse de l’application des droits d’auteur laisse de nombreux créateurs vulnérables à l’exploitation. La Déclaration de Salvador de Bahia souligne la nécessité d’un écosystème numérique inclusif, transparent et éthique qui soutienne les créateurs et garantisse une rémunération équitable. Elle appelle également à des mesures de protection contre le potentiel de l’IA à aggraver les inégalités existantes dans les secteurs créatifs. Cela est particulièrement pertinent pour les artistes africains opérant dans des environnements numériques non réglementés. Par exemple, l’industrie musicale nigériane, bien qu’elle prospère à l’échelle mondiale, continue de lutter contre le piratage et des accords de licence injustes. L’Afrique a maintenant l’opportunité d’utiliser la plateforme du G20 pour plaider en faveur de cadres internationaux qui protègent les droits des créateurs et garantissent une compensation équitable dans l’économie numérique.
La Déclaration de Salvador de Bahia insiste également sur la nécessité de protéger et de restaurer le patrimoine, notamment face aux défis comme le changement climatique, les conflits et le commerce illicite. Préserver les traditions culturelles et restituer les artefacts volés peut contribuer à renforcer l’identité africaine tout en favorisant la guérison et l’unité. L’Agenda 2063 de l’Union africaine, un cadre stratégique pour le développement du continent, souligne l’importance de récupérer le patrimoine culturel africain dans le cadre de la construction d’un continent fort, uni et prospère. L’UA a constamment défendu la restitution des artefacts culturels pillés comme une étape essentielle pour remédier aux injustices historiques et récupérer l’identité africaine. Ce positionnement a été un thème récurrent sur diverses plateformes culturelles panafricaines, reflétant la volonté collective du continent de restaurer ses trésors culturels.
Alors que l’UA représente ses États membres sur des plateformes mondiales, elle devrait saisir l’opportunité offerte par la présidence sud-africaine du G20 l’année prochaine pour mettre davantage l’accent sur la restitution. Avec l’Afrique du Sud à la tête, il y a une chance unique d’amplifier cette conversation dans l’un des forums les plus influents au monde, en veillant à ce que l’effort pour la restitution s’aligne sur les priorités mondiales plus larges en matière de justice et de préservation culturelle.
Selon le Département des relations internationales et de la coopération (DIRCO), la présidence sud-africaine du G20 offre au pays une occasion de mettre en valeur sa culture, son patrimoine, son tourisme et ses industries créatives auprès de milliers de délégués et d’équipes de soutien venus de certains des pays les plus avancés et émergents au monde. Cela crée également une opportunité de mettre en avant les réalisations de l’Afrique du Sud en matière de technologie, d’industrie et de commerce dans divers domaines. Pour les provinces et les villes sud-africaines, c’est un moment précieux pour présenter leur culture et leur créativité au monde entier, montrant ainsi la diversité unique et les possibilités économiques des arts.
Mais qu’en est-il du reste du continent ? Le G20 offre une rare opportunité à l’Afrique de parler d’une seule voix. En donnant la priorité à des objectifs communs, tels qu’un investissement public accru dans la culture, une protection renforcée de la liberté artistique et un meilleur accès aux marchés mondiaux, les pays africains peuvent faire de la culture un pilier central du développement durable. Le thème du G20, Solidarité, Égalité et Durabilité, offre une plateforme pour montrer comment la créativité stimule le progrès. L’Afrique du Sud saisira-t-elle ce moment pour défendre la culture, non seulement pour elle-même, mais pour tout le continent ?
La question n’est plus de savoir si l’Afrique peut promouvoir la culture sur la scène mondiale ; il s’agit désormais de savoir si elle le fera. Alors que l’Afrique du Sud assume ce rôle de leadership, elle a l’occasion de redéfinir le récit, prouvant que la culture n’est pas seulement un reflet de ce que nous sommes, mais un pilier du progrès durable et de l’équité. Que ce moment soit celui où le potentiel artistique et culturel de l’Afrique est priorisé comme une force centrale de changement social et économique.
Lucy Ilado est consultante en programmes culturels, gestionnaire de projets, défenseure des politiques, chercheuse et journaliste artistique basée à Nairobi, au Kenya.
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