
Voyano : Le périple surprenant d'Ukëry
L'énergique artiste camerounaise Ukëry signe, à 24 ans, un album plus spontané et ambitieux. Entre ballades déchirantes et titres étonnants, ses angoisses et certitudes n’ont jamais été aussi flamboyantes. Voyons ensemble quel est le calice qui se cache derrière ce disque Voyano de 9 titres, sorti le 28 février 2025.
- L'artiste camerounaise Ukëry
Le succès ne fait pas le bonheur. On s’en doute, certes. Mais après le coup de blues d’Ukëry sur Enyin en 2023, on se dit que le rêve continental a décidément du plomb dans l’aile chez les chanteurs indépendants. Là où d’autres s’y résignent en habillant leur peine de rythmiques classieuses, la chanteuse camerounaise l’affronte, elle, avec sa flamboyance habituelle.
Dès « Ka Ovio », je prends une claque – et c’est peu dire – sur la première piste de l’album. Il faut attendre 44 secondes avant d’entendre sa voix, en langue batanga (Sud Cameroun, département de l’Océan). Mais auparavant, l’entrée en matière intrigue : des airs de bossa nova, des clochettes traditionnelles, une trompette, des percussions… le ton est donné pour une chanson qui célèbre le patrimoine culturel immatériel. Ukëry y fusionne habilement une touche pop et une guitare ultra rock, tandis que sa voix semble murmurer aux baleines. Mefoumane Lepidi Alexandra Rijkarde, alias Ukëry, a décidément plus d’un tour dans son sac.
Suit « Kobô Ité », en langue bulu. Ukëry convoque ici la fisarmonica – nom italien de l’accordéon inventé en 1863 par le passionné Paolo Soprani – pour chanter la providence et le destin. Elle en fait le plaidoyer dans « De l’avant », où elle encourage à se réfugier dans la prière. Une signature très pop, métissée aux accents de kompa, soutenue par la bienveillante basse de Ben Bossambo.
La chanteuse déploie un timbre magnifique sur « Yia », mêlant legato pop rock et bikutsi, sans toutefois transmettre l’urgence et la fièvre attendue. D’une voix fraîche et subtilement appuyée, elle accentue le côté joueur du titre hip-pop & coupé-décalé « Apéro », en duo avec le rappeur Mink’s. Quitte à surjouer un peu, elle assume et sort de sa zone de confort, signant une ode au flirt vive et fruitée. Mais la palme revient à « Bloquer » : le morceau, ancré dans les sonorités mbolé & bikutsi, dévoile une mezzo renversante, féline et passionnée, livrant une interprétation théâtrale bouleversante sur le thème de l’amour.
Le chant élégiaque de « P’tit bb » et son format déroutant apportent une vision timorée et enjolivée, soutenue par un saxophone mélancolique et des chœurs discrets. Ce qui me touche, c’est ce timbre strident à la manière d’une Juliette Gréco, d’une Annie Cordy ou encore d’une Édith Piaf. Une touche de chanson française d’antan, des années 1400 à 1950.
Ukëry se laisse submerger par la passion dans « Adjal », avec quelques effets électriques et maniérismes légers. Le personnage est bien campé, tout comme son bikutsi enrichi, vibrant d’un timbre amoureux et profond. C’est un chant folklorique et moderne à la fois, structuré dans une ligne apollinienne qui transforme la romance en récit personnel, culminant sur une magnifique messa di voce.
Ukëry s’impose par son naturel et sa classe. Elle pose les mots à mesure qu’elle les chante, avec spontanéité, dans un ewondo d’une évidence limpide. Lauréate du prix Découvertes Goethe 2022, elle livre des chansons intérieures et exaltées, au sein d’une architecture musicale joyeuse et nuancée. Elle traduit avec brio la violence de l’indifférence amoureuse. Et quelle leçon de chant !
Sous une pochette absolument parfaite, l’album Voyano propose, selon le dossier de presse, « un voyage au gré des contes ». Le mot « voyage » n’est pas galvaudé. Il s’agit plutôt d’une déambulation douce, comme ces quelques pas dans le jardin que l’on accorde à un parent âgé après un repas de famille. Et cela peut être très agréable.
Vraisemblablement nourrie au lait musical de Sally Nyolo, de Taty Eyong et d’autres figures du bikutsi alternatif, Ukëry restitue à merveille cet esprit mélodique, bruitiste et humble d’un autre âge sur « Mee Ke Wok ». Après une entrée instrumentale tout en douceur, elle embrase l’atmosphère avec des notes ambivalentes pour clore l’album en beauté.
L’évolution musicale est de mise, mais peu importe : avec son énergie brute et la brillante efficacité de son équipe, on ne risque pas de se lasser de cette musique aux racines profondes. Ce qui frappe, à l’écoute, c’est l’imprévisibilité de la structure des morceaux ! Brice Essomba, Alex, Benoît Babe aux claviers, Marc Ndzana, Charles William N’thepe (batterie), Marcien Oyono (guitare), Mbele Joel Henri, Carah, Allan, Oflie Eyafa (chœurs), les studios Continental Entertainment, Master of the Game Records et Terminator Music signent ensemble une galette phonographique incisive et savoureuse.
Soyons clairs : musicalement, Voyano est excellemment construit. La voix d’Ukëry n’a jamais sonné aussi bien, avec une profondeur émotionnelle saisissante. La basse est élégante, les claviers apportent un soutien symphonique délicat. La production est cristalline, chaque instrument trouve sa juste place dans le mixage. Et les compositions sont finement construites, avec un soin particulier porté à la dynamique et à l’impact émotionnel.
Ukëry démontre...
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