Unstoppable : le résilient coup de volant de Sabrina
Une suite de ballades au parfum afropop telle une succession d’oratorios modernes pour l’artiste camerounaise de 23 ans. Unstoppable, dévoilé en Juin 2024, sonne comme le nouveau mini-album de la renaissance.
Une pochette à la leçon inaugurale
Armée d’une volonté de fer et d’une paire d’oreilles bien affûtées, la camerounaise Wamba Kuegou Sabrina Ruth de son vrai nom, contourne en brillante autodidacte, les interdits autour de sa passion. Cette ancienne choriste à Bafoussam (Ouest-Cameroun), a faim aujourd’hui, loin des petits pas à Yaoundé. Sur la pochette en 7 paniers, on aperçoit la chanteuse sous 7 expressions faciales différentes, sept sentiments distincts. Le noir a de multiples significations, elles peuvent être, positives et incarner la simplicité, l'élégance, la sobriété, le luxe et la modernité. Sur ce art cover inventif, il est dominatif. L’absence, du dépouillement, de l'inexistant et de l'immatériel sont matérialisées par du blanc cassé. Cette fusion de couleurs aussi étranges soient-ils, représentent les nouveaux départs. Comme une sorte de résurrection, de transformation. Au regard de la pochette officielle, on aura affaire à un EP qui additionne la découverte, l’intrinsèque, et l’équilibre phonographique, dans les langages communs de la diversité.
Curiosité en héritage
Comme un air de griot, et de cris de ralliement au combat à l’africaine, la chanteuse ouvre son tout nouveau disque avec convictions : Celui de présenter une Afrique jalouse de son patrimoine, mais pas que. De son ouverture au monde, tel que le soulignent les partitions saxophoniques et de violoncelle pour lui donner une couleur spirituelle et traditionnaliste en afropop.
Le titre « My Africa » est la carte d’identité sonore du terroir africain, du fait de la transposition des us ancestraux au plan communicatif, l’usage des voix pour rappeler l’effet collectif, et le sens de l’altruisme amplifié par les trompettes à la conclusion. La chanson est donc une conjonction de coordination, entre l’authenticité qui caractérise le continent noir avec des dominos primitifs & sauvages dans le bon sens du terme, et le coté inspirant. L’Afrique est réputée pour ses paysages extraordinaires, son hospitalité légendaire, et son creuset humaniste.
« Unstoppable » dépeint avec audace comme une fauve, son ambition de briser les barrières, de déconstruire les frontières de l’impossible car pour l’artiste tout est possible lorsque la providence et le travail acharné épousent l’esprit de conquête au-delà des difficultés quotidiennes. Pour cet épisode auditif, Sabrina, fait le pari d’une jeune rythmique africaine d’une dizaine d’années, dérivée de la deep-house et du jazz : l’amapiano. L’usage du violoncelle remarqué.
Autre changement de décor, « Allo Money » est un petit collier niché entre le hip-pop progressiste et le Kwaito/amapiano. Les arrangements et les cœurs qui accompagnent ce gourmet inventif, lui donnent comme un gout d’inachevé. Vu les temps anxiogènes d’une société du chacun pour soi, ce titre pourrait être un titre provocateur, pour la mise à l’honneur du capitalisme, du profit.
Cependant, chaque œuvre mérite de nos jours sa rétribution, et il serait hypocrite de blâmer l’auteure. Ce titre, c’est la vie qui coule, la vie qui passe, finalement la vie d’adulte marqué par la course à la sécurité financière. Alors pour trouver du sens, Sabrina écrit des chansons et invite une dream team à ses côtés.
On ferme les yeux et l’on voit l’arc en ciel d’ « Ojoro ». La chanteuse est une artisane, elle chante l’or de la vie, l’instant présent de cette vie moderne qui peut être un miracle comme une cavalcade tranquille où les doigts se promènent sur ta peau ou encore ce groovy chant des sirènes au chœur enjôleur. L’auteure choisit des mots simples pour parler d’amour, sincère, limpides, une poésie apaisée du quotidien, avec une diction, une voix, un flow qui nous rendent ces chansons familières.
On est touchés ou pas par le récit de son coup de foudre, avec cette esquisse de douceur, son violoncelle et son mellotron enlaçant, sa métrique chaotique dévoilant le trouble des sentiments, la peur de perdre l’être aimé, le changement de comportement et des fleurs d’une étrange rareté. Sabrina pleure sur les amours ébréchés : On aurait cru une histoire vécue.
« Frienemies », ce titre est admirable pour moi de par sa construction, et pour sa réussite d’avoir mêlé la voix avec une musique très ambiante et actuelle qu’est l’afrobeat. Ce mélange n’est pas si évident, mais là c’est une belle réussite. La voix de Sabrina s’intègre parfaitement à la musique, tout en la dominant et en lui donnant un autre sens. On est à un point idéal entre la pop africaine et l’ambient.
En faisant un mini-album coloré comme celui-ci, pour aller vite, il y a toujours un grand risque pour moi de sombrer dans l’abstraction totale, la complaisance, en larguant l’auditeur dans un néant abscons. Pour ma part, j’ai toujours le souci que l’auditeur ne s’ennuie pas, qu’on lui donne un fil, un ancrage minimum pour qu’il fasse le voyage qu’on lui propose. Pour moi il faut toujours garder quelque chose, même de succin. Un certain souci d’efficacité pour continuer de capter l’auditeur tout le long de l’aventure. Ce qui captive mon attention c’est surtout le message caché derrière cette cinquième piste : De faire attention aux faux amis, de se nourrir de ses propres expériences pour pouvoir avancer.
Comme souvent le titre en fin d’un disque est le plus déroutant. « Big Boys » commence comme un chant d’amour et se termine dans un kaléidoscope à la Master KG ou TitoM.
« My Africa » est l’emblème de cet album, des paroles sombres et lumineuses et un outro dantesque que l’on a hâte d’écouter sur scène. Avec « Simplicity » qui donne son ADN à l’album, on se reconnaît malgré nous.
Et si Sabrina parle de ces choses et de ces jours froids, c’est pour parler encore mieux de ce dont elle ne parle pas. De la beauté d’un corps ou d’un sourire croisé, que l’on aura aimé, un jour, que l’on aura connu. Et quand enfin resteront les marées plus basses, moins houleuses, moins bruyantes, quand ce vain coulis se sera retiré, on cherchera à contempler, à chercher ce qu’il reste. Les valeurs d’humilité et de partage, la chanteuse en fait le porte-étendard dans cette dernière pièce engourdie d’ambiance à la sauce amapiano & de polyphonies hybrides, qui me rappellent le Melody Orchestra, en 1970, auquel faisait partie de regretté mémoire, Prince Nico Mbarga.
Provoquer le destin
Unstoppable n’a rien d’un hymne à la joie ou détermination uniquement, ou d’une farce pop. Sept titres, pas plus, selon la volonté de l’artiste. Qui filent. Ou qui découpent. Traversant la nasse, comme un couteau dans un gâteau trop mou. Car c’est bien de ça qu’il s’agit, d’un implacable sillon, au milieu des louvoiements, des accommodations paresseuses d’une grosse masse déconfite, dans un vague monde défait, que plus rien ne retient, à part l’apathie.
Ce disque est une fragile âpreté. Sabrina séduit immédiatement par sa simplicité, par la proximité de la voix, par les thèmes familiers de ses chansons cathartiques. Comment ne pas sombrer avec « My Africa » qui ouvre le disque ? Et pourtant tout n’est pas toujours chaleureux, gracieux et harmonieux. Bien sûr on pense à Khalil Harisson, Ayra Starr ou encore Timi Dakolo, mais très vite on est happé par cette petite musique qui s’insinue dans notre oreille, puis notre cœur. Rarement un disque récent n’aura été aussi brut et cohérent à la fois. Des semaines pour des multiples prises par morceau a suffi pour créer cette œuvre.
Après une intro lumineuse qui donne une couleur à ce mini-album, surgissent des trompettes et une violencelle dominante et ces refrains entêtants, hymne hédoniste et juvénile où l’on se revoit danser seul, dans notre chambre en écoutant les CD ramenés de la discothèque, souvent choisis au hasard d’une pochette.
Ce projet rappelle les photos carrées familiales des années 70-80, le freak, les musiques africaines, le rapport à l’autre. Dommage qu’on n’a pas connaissance de la fiche technique pour apprécier le génie singulier de chaque acteur ayant contribué à sa production. La domination des instruments à vent, la pertinence des messages, la présence et la recherche permanente de nouvelles perspectives, la technique et l’orientation, font de Unstoppable un disque unique dont j’anoterai à 7/10.
Album : Unstoppable
Artiste : Sabrina
Label / Année : Afrobit Productions /2024
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