Les différents styles de la guitare africaine
La guitare est vraisemblablement l’instrument et le plus utilisé au monde et il a joué un rôle proéminent dans le développement de la musique africaine ce dernier siècle. En effet c’est un instrument qui continue de rassembler les audiences africaines et occidentales. Les approches distinctives de la guitare à travers l’Afrique permettent d’apprécier la diversité musicale du continent ainsi que les grands changements apparus au cours du dernier siècle.
La guitare est probablement arrivée en Afrique de l’Ouest durant la période d’exploration portugaise vers le 15e siècle mais celui-ci n’était pas beaucoup utilisé avant l’administration coloniale à la fin du 19e siècle. Progressivement, la guitare a adopté les rôles et les sons des instruments indigènes accompagnés et a remplacé les groupes traditionnels ; celui-ci a servi de pont musical avec les Amériques et a favorisé le développement de la musique dansante urbaine. Pendant la première moitié du 20e siècle, la guitare était un accessoire omniprésent dans la musique urbaine et rurale et a établi des styles variés et distinctifs et des approches mêlant la musique indigène, européenne, caribéenne, sud-américaine et arabe.
Les musiciens en Afrique ont étendu le potentiel technique et expressif de l’instrument de différentes manières. Ils ont d’abord démontré le potentiel créatif des approches non fixées sur les cordes telles que la technique dite « two-finger », fort répandue, et qui mêle des parties en ligne unique dans des ensembles cycliques capturant distinctivement l’entrejeu musical africain. Ils ont ensuite montré comment la guitare peut représenter le langage mélodieux et percutant d’autres instruments tels que le xylophone (ex : le balafon mandingue), le luth (exemple avec le ngoni mandingue), la harpe (exemple avec le seperewa akan) et le piano à pouce (exemple avec le mbira shona). Les guitaristes africains ont enfin développé une approche au solo à la fois de soutien et mélodieuse et ont étendu la palette sonique de la guitare avec une rangée de techniques : le finger-style, le palm mute percussif, l’electric lead, les cordes funky et les riffs.
Afrique du Nord : les sons du Sahara
Dans l’Afrique du Nord côtière, la guitare a été beaucoup moins influente que les instruments à corde tels que l’oud arabe et le guembri gnawa qui ont conservé de fortes traditions culturelles et musicales attachés à la culture berbère (datant de 1200 AV J.C et l’influence arabe (datant du début du 7e siècle). Malgré cela, la guitare a une forte présence dans les régions désertiques de l’Afrique du Nord et de l’Ouest. Au cours de la dernière décennie, les styles de guitare des Touaregs (un sous-groupe des peuples berbères habitant dans les régions désertiques d’Algérie, du Mali et du Niger) ont gagné en attention internationale.
Le style de guitare ishumar a été développé par le jeune Kel Tamasheq, qui avait dû fuir la famine et les instabilités politiques des années 70. Le groupe Tinariwen fondé dans un camp de réfugiés libyens à la fin des années 70, a gagné en renommée internationale grâce à leur album Amassakoul (2004) ouvrant la voie pour d’autres groupes tels que Tamikrest, Terakraft et Etran Finatawa. Ces groupes ont façonnés un son invoquant les mélodies arabes mélismatiques, le rythme doux de la musique nord-africaine et le ronronnement du blues-folk américain avec les messages politiques et sociaux d’un peuple souffrant du statut de minorité dans une région de l’Afrique de plus en plus instable.
1: Tinariwen - 'Toumast'
L’élément de style de guitare du Sahara qui évoque les grands espaces et le rythme lent des cultures nomades est une sensation que ne peut être correctement représentée dans une signature de temps de 12/8 ou de 4/4. Ecoutez le riff de la guitare dans la figure 1 et observez comment la mélodie est exprimée pour que la deuxième et troisième note de chaque beat soit légèrement retardée pour créer une sensation irrégulière et coupante. Ecoutez aussi dans la figure 2 comment le guitariste malien Boubacar Traoré façonne une approche two-finger à la guitare acoustique illustrant un amour à la fois du blues-folk américain et des sons mineurs pentatoniques du Sahara. L’entrejeu de basse et de mélodie créer une sensation de mouvement constant à travers la chanson même si il ne suit pas une progression harmonique occidentale.
2: Boubacar Traoré - 'Adieu Pierrette'
Afrique de l’Ouest : le centre du highlife, juju et de l’afrobeat
Dans l’Afrique de l’Ouest côtière, la guitare a joué un rôle important dans la musique highlife, le juju et l’afrobeat. Le guitariste et l’ethnomusicologue John Collins explique comment les marins Kru ouest africains employés sur des navires britanniques et américains au 18e et 19e siècles, ont développés et disséminés à travers les villes portuaires la technique de guitare dite two-finger appelée localement la musique de vin de palme ou Palmwine. Cette musique était souvent jouée dans les petits bars informels de vin de palme et suivait des progressions harmoniques reflétant les influences de chorale européenne.
Dans la figure 3 vous pouvez entendre le contour claire d’une progression harmonique occidentale avec l’incorporation divertissante de l’ensemble de cloches akans, appelés sikye. Malgré cela, il y a certaines progressions de guitare palmwine qui suivent des mouvements modaux entre les cordes IV et iii (F majeur et E mineur dans la clé de C). Cette progression, appelée odonson, a évoluée alors que la guitare remplaçait lentement la harpe akan à deux-cordes appelée le seperewa. Des exemples de ce style peuvent être entendus par des partisans tels que le guitariste ghanéen Koo NImo et le maitre du seperewa Osei Korankye.
3: Palmwine Guitar - 'Yaa Amponsah'
Les développements de l’approche two-finger sont présents auprès de guitaristes nigérians tels que King Sunny Adé qui ont façonnés des sons de tambours (talking-drum) appelés juju music.
Vraisemblablement, le style de guitare africaine le plus omniprésent en dehors du continent est l’afrobeat ; un mélange très énergique de highlife, musique yoruba et de funk américaine développé par le grand musicien Fela Kuti durant les années 60 et 70. Les parties de guitare varient d’ensembles courts et de lignes uniques muettes à des piques, riffs de cordes à trois notes et produisent un cycle hypnotique qui converse avec des lignes de basse mélodiques et des parties de percussions serrées à la batterie.
Afrique centrale : les héros de la rumba congolaise
Dans les années 50 et 60, une musique dansante a émergée dans les deux Congo (Congo Brazzaville et la RDC) et a grandi en popularité à travers l’Afrique. La rumba congolaise (aussi connue sous des noms comme soukouss, kirikiri et kwasakwasa) a été le résultat d’échanges entre la tradition musicale locale (spécialement en Lingala, une des langues communes aux deux pays), les orchestres de cuivre européens, les hymnes chrétiens et la musique caribéenne.
En 1953, Joseph Kabasele dit le Grand Kallé a commencé à établir les fondations du son moderne congolais avec son groupe l’African Jazz qui comprenait des futures grands artistes tels que Nicolas ‘Dr. Nico’ Kasanda (guitare), Emmanuel ‘Manu’ Dibango (saxophone), Tabu Ley ‘Rochereau’ (chanteur), Sam Mangwana (chanteur) et Pepe Kalle (chanteur). En 1961, Kabasele a établi le label Surboum African Jazz qui a sorti une série d’albums de TPOK Jazz, dirigé par l’un des musiciens les plus célèbres de ce style, Franco Luambo Makiadi (guitare et voix). Dans les années 70, les groupes congolais tels que Zaiko Langa Langa ont innové le son de la musique congolaise en introduisant par les lignes fulgurantes appelés sebene grâce à des guitaristes tels que Félix ‘Pépé Fely’ Mauaku Waku.
Tout comme la highlife en Afrique de l’Ouest, le soukous suit généralement une courte progression englobant les cordes I (tonique), IV (sous dominant) et V (dominant). Les lignes sebene sont habituellement des lignes uniques piquées et plates dans les plus hautes gammes de la guitare, qui englobent simultanément la progression harmonique, et amènent une contrepartie rythmique à des parties de guitare plus basses et élèvent l’énergie de la musique avec les lignes de guitares montantes. Peu de styles de guitare en Afrique comprennent la virtuosité individuelle et l’esthétique de simultanément accompagner et faire des solos aussi efficacement que le soukous. La figure 4 montre comment les lignes de guitare sebene utilisent à la fois les arpèges et les longs glissandos pour donner à la musique une qualité élevée et montante toute en mêlant une partie d’accompagnement.
4: Congolese Soukous - Sebene Guitare
Afrique australe : la guitare Mbira du Zimbabwe
Beaucoup de styles de guitare se sont développés au Zimbabwe. Comme le highlife et le Soukous, les groupes de musique shona sont devenus populaires à la fin des années 60 et 70, développant un style de guitare distinctif inspiré du mbira shona (piano à pouces) et de musique chimurenga (musique de libération). L’usage de guitares électriques, éléments de rumba congolaise et de musique traditionnelle shona, résonnait auprès de jeunes auditeurs pendant les années de la guerre de Libération (1964-1979).
Le vocaliste Thomas Mapfumo est reconnu pour avoir électrifié le mbira et pour avoir travaillé avec le guitariste Jonah Sithole pour façonner le son chimurenga. En tant qu’artiste solo mais aussi avec le groupe Mapfumo, les Blacks Unlimited, Sithole a façonné un style de jeu de guitare influencé par le soukous mais fortement connecté à la musique spirituelle et méditative du mbira. Dans la Figure 5, Sithole joue un solo de guitare qui maintient un dialogue avec les styles vocaux entendus dans la musique mbira et la basse tout en intercalant de hautes lignes descendantes qui reflètent les styles vocaux entendus dans la musique mbira. Même si la musique ne possède pas l’entrain énergétique du soukous, son groove n’en est pas moins contagieux. Ainsi que la progression harmonique est fondée autour des structures musicales du mbira plutôt que de la musique d’église ou militaire européenne.
5: Thomas Mapfumo - 'Chitima Nditakure'
Les nouvelles voix dans la guitare africaine
Alors que la guitare est demeurée un élément important de la musique populaire aux Etats-Unis, son usage dans la musique populaire africaine a décliné avec la montée des musiques dansantes à dominance électronique. Par exemple le hiplife ghanéen, un mélange de highlife, hiphop en langue Twi, fait d’occasionnels clins d’œil la guitare highlife mais le chant en est l’élément essentiel. La guitare n’est plus un instrument moderne ou un moyen par lequel l’Afrique aborde la musique occidentale. Pour les générations plus jeunes qui admirent des idoles musicales modernes, la guitare symbolise souvent un outil antique de l’ère postcoloniale.
En dehors de l’Afrique, les artistes tels que le guitariste et vocaliste Lionel Loueke (Bénin) et le bassiste, guitariste et vocaliste Richard Bona (Cameroun) continuent de démontrer le potentiel de la guitare à faire le pont entre les traditions musicales africaines avec les styles musicaux occidentaux. Ces deux artistes ont développés la technique du two-finger en incorporant des harmonies de jazz moderne et des contrepoints de basse/mélodie d’une manière à la fois virtuose et réflective des esthétiques de musique populaires et folkloriques.
Lectures recommandées
- Collins, John. 2006. “‘African Guitarism’: One Hundred Years of West African Highlife.” Legon Journal of the Humanities 17, pp. 173–96.
- Eyre, Banning. 2003. “African Reinventions of the Guitar.” The Cambridge Companion to the Guitar, pp. 44–64.
- Kaye, Andrew L. 2008. “The Guitar in Africa.” The Garland Handbook of African Music, p. 88.
- Stewart, Gary. 2003. Rumba on the River: A History of the Popular Music of the Two Congos. Verso.
- Stone, Ruth M. 2010. The Garland Handbook of African Music. Routledge.
- Waterman, Christopher Alan. 1990. Juju: A Social History and Ethnography of an African Popular Music. University of Chicago Press.
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