La musique dans les médias en Érythrée
Ce texte donne un aperçu des médias en Érythrée, particulièrement ceux qui ont trait à l'industrie locale de la musique.
- Animateur d’Eritrean Voices en studio. Photo : www.thecitizen.org.au
Le contexte
Bien qu'excellente dans de nombreuses disciplines, l'Eythrée peine à exposer au monde sa richesse artistique et culturelle. Exécutées dans près de 9 langues ethniques, les musiques des différents groupes du pays, sont longtemps restées confinées à leurs régions respectives. Ce n'est qu'avec l'avènement des nouvelles technologies, qu'elles ont commencé à se répandre peu à peu dans le reste du pays et même dans le monde.
Pendant l'occupation Éthiopienne (de 1961 à1991), l’écoute des morceaux en langues autochtones était formellement interdite et leur diffusion sur les ondes de la radio populaire Voice of the Broad Masses of Eritrea, était prohibée.
Mais dans la clandestinité, la musique érythréenne s'est imposée comme un lien vital qui a uni le peuple aux combattants de la libération nationale. Elle poussera d'ailleurs de nombreux jeunes au sursaut patriotique et les mènera à se joindre à la lutte.
Après l'indépendance acquise en 1991, cette musique continue d’être exploitée à des fins politiques. Cette fois, par le gouvernement érythréen contre son propre peuple. Plusieurs groupes de chant du pays sont contraints à travailler dans des organes du parti au pouvoir et dans l'armée, produisant des chansons destinées à être diffusées uniquement durant les nombreux jours fériés du calendrier national. Les artistes érythréens otages de ce système, produisent une musique de qualité inférieure, qui n'a pour seul but que de vanter les mérites d'un gouvernement pourtant tyranique. Les chanteurs sont récompensés en fonction de la popularité de leurs morceaux dans les médias contrôlés par l’État, ainsi qu'en fonction du temps d'antenne qu'ils occupent. Ce succès arrangé, permet néanmoins à quelques uns, de réaliser des tournées à l’étranger.
Alors que les médias se contentent de fournir la musique de propagande, la qualité des productions ne s’améliore guère. Avec la quasi-constante diffusion des chansons patriotiques à la radio et à la télévision, le public condamné à suivre ces oeuvres mal réalisées, se retrouve sans références pour faire une distinction entre la bonne musique et celle qui est médiocre. Personne n'ose faire de critique musicale, tandis que le peuple n'a aucun moyen d'accéder à la musique étrangère.
Elias Weldegebriel, directeur de l'École de musique d'Asmara [i] en Érythrée explique le problème : « après l’indépendance, en l’absence d'institutions artistiques et suite au manque d’intérêt national, il n'y avait personne pour écrire, enseigner, critiquer ou faire des recherches sur les prestations musicales, même si ces prestations étaient et sont nombreuses. Les musiciens et le public avaient du mal à reconnaitre la bonne musique ».
Le problème est soulevé dans quelques ateliers et séminaires organisés. Les avis sont assez partagés, surtout quand il faut proposer des stratégies pour faire évoluer la musique érythréenne et l'enrichir [ii].
Aujourd'hui encore, le gouvernement érythréen a le monopole de la radio et de la télévision. Les rares journaux privés qui existaient, ont tous été fermés en 2001 dans le cadre de la répression de l'opposition. Les médias soutiennent le gouvernement, tout en accusant l'opposition et l'occident (en particulier les USA) d'affaiblir le pays et de soutenir son principal ennemi, l'Éthiopie. Le gouvernement contrôle tous les médias, qui comprennent une station de télévision et trois stations de radio. Un permis est requis pour toute publication imprimée ou distribution de journaux étrangers, restreignant toute opinion contraire à la volonté de l'État.
- La télévision
La station de télévision, Eri-TV, est lancée en 1993 avec une couverture très limitée sur la capitale. La station diffuse aujourd’hui en six langues (tigrinya, tigre, arabe, amharique, oromo et en anglais) à travers le pays et à l’étranger par satellite. Chaque langue de diffusion a son propre créneau musical et les chansons servent de transition entre les programmes. Cette pratique a contribué à populariser la musique locale, bien que les programmes diffusent également de la musique internationale.
La plupart des fêtes religieuses chrétiennes et musulmanes sont célébrées par une couverture prolongée des artistes et chanteurs populaires érythréens. Les chanteurs sont interviewés, filmés en studio et répondent aux questions des spectateurs. Bien que cette tendance ne garantisse la qualité de la musique locale, elle offre une certaine visibilité aux chanteurs.
L'État gère également la chaine Eri-TV 2, qui diffuse à l'intérieur du pays. Eri-TV2 est une chaine de divertissement, proposant la retransmission des matchs de football des clubs européens, diverses séries (principalement turques doublées en arabe) et de la musique locale et internationale. Contrairement à la chaine principale, celle-ci promeut les nouveaux talents en encourageant la production de clips vidéo chez les jeunes.
- La radio
Il existe trois stations de radio appartenant à l'État : Voice of the Broad Masses of Eritrea et deux autres stations que sont Zara FM et Radio Numa. Bien que Voice of the Broad Masses of Eritrea joue quelque fois de la musique dans ses différents programmes et pour des transitions, ce sont les 2 autres stations qui proposent plus régulièrement des programmes musicaux et du divertissement. Zara FM est essentiellement consacrée à la programmation de la musique locale et internationale, ainsi qu'à l’actualité, alors que Numa Radio propose des émissions de sport, des entrevues et autres divertissements.
Plusieurs stations de radio gérées par des érythréens établis à l'étranger tentent d'atteindre les auditeurs du pays. Il s'agit notamment de Radio Erena [iii], qui diffuse via satellite et la radio de Paris (France). Radio Erena propose des discussions sur des questions d'importance cruciale pour les érythréens. La station est très populaire et est considérée comme l'une des seules sources d'informations crédibles à la disposition de la population érythréenne. Les antennes paraboliques se sont répandues ces dernières années dans le pays, ce qui a permis à la station d'être suivie en Érythrée, même si ses signaux ont maintes fois été bloqués par les autorités.
Hekortetina est l'un des programmes les plus suivis de cette station. L'émission de 2 heures est diffusée les dimanches et est animée par la chanteuse Yonathan Habte. C'est un programme ludique de par la sélection de la musique laissée aux auditeurs, qui ont ainsi la rare occasion de choisir leurs chansons préférées.
Il existe plusieurs autres radios appartenant aux partis d'opposition émettant à partir de l'Éthiopie ou du Royaume-Uni.
Fondée en 2008, la radio Wegahta basée en Ethiopie, diffusait des programmes de 3 heures, 2 fois par jour, à partir de 6h00 du matin puis à 17h00. Mais la station a cessé d'émettre en 2013.
La radio Asena, basée au Royaume-Uni [iv], s’opposait au gouvernement érythréen. En février 2015, la radio ferme suite à un déplorable manque de financement, selon les propos de son fondateur Amanuel Eyasu.
- La presse
Il n'y a qu'un seul journal publié en Érythrée sur le portail officiel du ministère de l'information. Appelé Haddas Ertra, il est écrit en tigrinya (langue locale), en anglais et en Arabe. Bien que ce journal propose une large couverture de la musique, le plus souvent par le biais d'interviews avec des chanteurs, il ne réalise aucune critique musicale et n'évalue jamais le contenu des oeuvres.
Le magazine trimestriel Menisey est tenu par l'organe du parti, l'Union Nationale des Jeunes et Étudiants Érythréens. Les articles les plus lus sont a priori, les entretiens avec les artistes populaires, principalement les chanteurs et les acteurs.
- Les médias en ligne
La pénétration de l'Internet en Érythrée demeure relativement faible, avec des statistiques suggérant que le pays compte seulement 67 000 internautes, soit environ 1 % de la population [v]. Néanmoins aujourd'hui, les cybercafés des grandes villes et communes du pays, sont devenus des lieux de rencontre pour échanger de la musique, des clips vidéo et des films.
Les érythréens vivant à l’étranger font usage de YouTube pour accéder à la musique de leur pays. Certaines chaînes YouTube sont apparues pour répondre à ces exigences; c'est le cas d'Halenga Eritrea [vi]. Cette chaîne publie chaque semaine des clips vidéo érythréens. Halenga Eritrea a été lancée avec pour mission de faire découvrir les artistes érythréens émergents et de promouvoir leurs musiques. Eritrean Music [vii] et LYE Musica [viii] sont d’autres chaines évoluant dans le même sens.
QietNit [ix] est une plate-forme en ligne, qui permet de partager des informations sur la musique de l'Érythrée. La plate-forme propose un programme télévisé intitulé QieNit TV Talk Show, qui parle des pionniers de la musique érythréenne.
Le paysage médiatique de l'Érythrée est fortement limité, du fait de la forte ingérence du gouvernement. La musique locale est proposée par les médias du pays, qui se limitent hélas à ne diffuser que ce qui fait la propagande de l'État.
[i] www.shabait.com/news/local-news/6378-19-students-graduate-from-asmara-music-school-in-certificate-and-diploma-
[ii] Voir Oehrle, E., D.O. Akombo, and E. Weldegebriel. 2013. 'Community Music in Africa: Perspectives from South Africa, Kenya, and Eritrea'. Dans Community Music Today. Veblen, K.K., et al., (eds). R&L Education. pp. 61-78.
[iv] http://www.tesfanews.net/radio-asena-says-bye-bye/
[v] http://www.internetworldstats.com/africa.htm/
[vi] https://www.youtube.com/user/HalengaEritrea/about
[vii] https://www.youtube.com/user/EritreanMusicChannel/featured
[viii] https://www.youtube.com/channel/UCVt6zcoVWTRLcGEINRVhfMQ/about
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