La musique classique à l'île Maurice
Par Sabrina Quirin
Orphée aux Enfers. L'affiche de ce grand classique; que Jacques Offenbach a mis en musique, sur les planches mauriciennes, date de juillet 2015. Avec ses six dates, l'événement produit par l'Indian Ocean Performing Arts, avait alors conquis les amateurs d'opéra, pas toujours servis en matière de représentations lyriques. Depuis, l'île Maurice n'a pas connu de manifestations musicales classiques d'envergure.
- L'Ensemble 415 . Photo: Facebook officiel de l'Ensemble 415
Avec une audience restreinte, force est de constater que, contrairement à d'autres genres plus contemporains, les concerts et autres événements autour de la musique classique ne sont pas souvent d'actualités. Mais, sans faire de bruit et poussé par un vent de fraîcheur, l'Ensemble 415 est en train de redessiner le paysage de la musique classique à Maurice, dont la compréhension et l'appréciation n'étaient accessibles qu'à une élite sociale mauricienne.
Quant à la pratique de ce style, seuls ayant une âme d'esthète, une éducation musicale à l'ancienne et la passion des violons Stradivarius, pouvaient le maîtriser.
L'île Maurice compte de très belles voix lyriques: les sopranos Véronique Bungaroo, Diane Hardy, le ténor Jean-Michel Ringadoo et des musiciens de talents: Jean-Jacques Félix, Dean Nookadu, Clifford Cousnapa… que les amateurs prennent plaisir à écouter à chaque, rare, fois qu'ils se produisent. Ces derniers, loin d'être novices, sont déjà au summum de leur popularité et sont des dignes ambassadeurs d'un genre musical qui ne remplirait pas les plus grandes salles de spectacle à Maurice.
En parlant de salles, fermés depuis de longues années parce que leur rénovation s'avère des plus urgentes, les théâtres de Port-Louis, un des plus anciens de l'Hémisphère sud datant du 19ème siècle et du Plaza (à Rose-Hill), n'accueillent plus ces grandes prestations d'artistes internationaux, aussi bien que locaux. Pour cause les travaux au budget faramineux et parfois sur fond de controverse tardent à démarrer.
Avant qu'il ne s'envole pour Madagascar où il était attendu à la troisième édition du festival Nosy Bê Symphonies, l'Ensemble 415, croise les doigts. Le concert qu'il s'apprêtait à présenter au public, quelques jours avant son départ, pourrait lui rapporter un peu d'argent, de quoi assurer sa participation au grand rendez-vous annuel de la musique classique sur la grande île, alors programmé pour la première semaine de septembre.
Si tout va bien, environ 100 personnes se déplaceront pour apprécier la musique baroque de l'Ensemble 415— une toute nouvelle formation qui a pris naissance en 2014— au grenier de l'imposante et belle demeure coloniale, Eurêka, à Moka, dans le centre de l'île.
L'unique orchestre de musique de chambre à Maurice, n'est pas à sa première prestation…gratuite! Une entrée payante aurait peut-être freiné l'intérêt du public pour l'Ensemble 415 et sa musique. "Après nos concerts, le public, s'il le souhaite peut nous soutenir à travers un don. Aussi, cette stratégie nous permet de fidéliser le public ciblé", confie Guy-Noël Clarisse. A 28 ans, ce jeune violoniste est le fondateur de cet ensemble qui, peu à peu, commence à éveiller la curiosité des ouïes sensibles à la musique de Bach, Vivaldi, Castello, Ravel et celle de l'époque baroque.
Un style qui coûte cher
Avec l'arrivée de la formation baroque de Guy-Noël Clarisse, les plus ardents défenseurs de la musique classique sur l'île peuvent dormir tranquilles! Non seulement, l'Ensemble 415 réunit sept musiciens âgés de 18 à 40 ans, mais s'est octroyé pour mission d'intéresser les enfants et les jeunes à la musique classique. Lui-même enseignant de musique dans des collèges d'État, Guy-Noël Clarisse est, néanmoins, mitigé quand il parle de l'intérêt des adolescents pour la musique dite ancienne. "Que l'Éducation nationale permette aux jeunes des deux premières années du cycle du secondaire de s'initier à l'histoire de la musique est une initiative louable. Mais, le programme ne dure que deux années.
Après cette période, la musique devient de l'histoire ancienne pour le collégien. Heureusement que chacune de nos sorties musicales ou autres rencontres est une occasion de faire la promotion de la musique classique et attiser la curiosité des enfants pour les instruments", explique le violoniste.
Entre-temps, pour assurer la formation de musiciens à un niveau supérieur, l'université de Maurice a pris une initiative forte intéressante en lançant un nouveau cours en musique, en septembre dernier. Ce cours qui mène au diplôme BA.Hons sera un pas vers la création d'un orchestre national et même un orchestre symphonique. Ce qui sera une première pour Maurice.
L'intérêt pour l'enseignement et l'apprentissage de la musique classique se mesure aussi du côté des 17 salles du conservatoire François-Mitterrand (à Quatre-Bornes), lequel a récemment fait l'objet d'une évaluation par un chef d'orchestre étranger afin de renforcer la qualité des formations qui y sont dispensées.
Quant à la perspective d'une carrière dans la musique classique, peu envisageable, Guy-Noël Clarisse, ne saura ici encourager les enfants à rêver. Il faut être réaliste. On ne peut vivre de cet art à Maurice. Seul l'enseignement, au Conservatoire de musique François-Mitterrand, dans les écoles ou en privé reste une voie possible. "Les musiciens de l'Ensemble 415 ne vivent pas de la musique.
D'ailleurs pour en faire, cela coûte très cher. Les instruments de musique classique sont onéreux, ainsi que leur entretien, d'autant que nous ne disposons pas de luthier à Maurice! Pour l'instant nous comptons sur un professionnel italien, expatrié dans l'île. Les membres du groupe ont une activité professionnelle respective notamment dans l'industrie sucrière, le secteur de la construction…"confie encore Guy-Noël Clarisse.
De Maurice à Londres
Avec ses pairs de l'Ensemble 415, il reprend les classiques du répertoire baroque, Guy-Noël Clarisse, tient entre ses mains un F. Pillement 1790! Une pièce précieuse, une œuvre exceptionnelle qui lui a été offerte par une personne non moins exceptionnelle à ses yeux. Il s'agit de Nicolette Moonen, violoniste de la prestigieuse Royal Academy of Music d'Angleterre. "C'était en 2014 après l'obtention de ma licence avec la mention Merit de la Royal Academy of Music où je me suis spécialisé en recherche historique de la musique pendant deux ans. Je ne peux traduire toute l'émotion ressentie. Nicolette Moonen m'avait fait l'honneur de me remettre un violon qui appartenait à sa grand-mère.
Elle m'a fait ce cadeau parce qu'elle a toujours cru en moi. Elle est celle qui, un jour après m'avoir écouté joué m'a dit que j'avais encore du chemin à faire. Mais, elle a décelé dans mon style une prédisposition naturelle pour la musique baroque. Elle m'a alors encouragé à m'inscrire à la Royal Academy of Music de Londres", nous dit Guy-Noël Clarisse. C'est à Maurice que le parcours du jeune homme originaire, d'Eau-Coulée, localité sise dans la périphérie de Curepipe, deuxième ville importante de l'île a commencé.
Son père, guitariste est sa première influence. "Mais s'il jouait parfaitement de la guitare, en revanche, il n'avait pas appris le solfège. Il voulait que ma sœur et moi-même ayons cette connaissance, donc, il nous a inscrits au conservatoire de musique. J'avais alors 9 ans et j'ai commencé à apprendre à jouer du piano avant de découvrir le violon, trois ans plus tard", raconte le musicien mauricien.
Quelques années après ses cours de violon, le jeune Guy-Noël Clarisse interrompt ceux-ci pour pratiquer en autodidacte. Il se forge grâce à ses rencontres avec des musiciens étrangers, de passage dans l'île. Puis, il croise la route de Gérard Télot, violoniste, professeur et référence de la musique classique à Maurice.
Guy-Noël Clarisse intègre l'Ensemble Alizés, créé par Gérard Télot. Cet ensemble regroupe essentiellement des jeunes talents. "L'école" de Gérard Télot le mène jusqu'à Brad Cohen, directeur artistique du West Australian Opera, qui, le temps d'une escale à Maurice en 2011 fait du jeune mauricien, le premier violon de L'Enfant et le Sortilège (Maurice Ravel).
Guy-Noël Clarisse qui a déjà un degré en musicologie de la prestigieuse University of South-Africa, se distingue et décroche une bourse. Il prend l'avion pour Bartington (Angleterre) où il pose ses valises pour cinq semaines de cours intensifs en musique classique. Au pays de sa Majesté, il assiste à un concert de Nicolette Moonen. "J'ai été la voir après sa prestation et je lui ai proposé de jouer un morceau..." se souvient le violoniste.
La musique classique offre des perspectives limitées
Quand on lui fait remarquer que les perspectives professionnels, pour un musicien diplômé comme lui, sont limitées, voire inexistantes, à Maurice, Guy-Noël Clarisse nous répond: "A la fin de mes études en Angleterre, avec d'autres étudiants et Nicolette Moonen, nous avions engagé une réflexion sur ce qui nous attendait une fois de retour dans nos pays respectifs. Nous nous sommes alors promis que nous allions utiliser nos acquis pour faire la promotion de la musique classique." Guy-Noël Clarisse a suspendu, momentanément, ses activités professionnelles dans les collèges de son pays.
Pour cause, il étudie à la Nanjing University of Arts de Chine. Il a même intégré l'orchestre de l'université. Il voit en cette expérience une aubaine pour enrichir le paysage de la musique classique à Maurice. Il rentre régulièrement au pays et fait profiter de son savoir-faire à tous ceux qui s'intéressent de près ou de loin aux instruments à cordes.
Sources: Interview avec Guy-Noël Clarisse Magazine Scope: http://www.lemauricien.com/scope
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