Alune Wade : « Avec New African Orleans, je retrace les origines africaines du jazz, de la racine aux branches… »
Porté par une édition 2025 du Standard Bank Joy of Jazz, placée sous le signe des dialogues musicaux entre continents, Alune Wade s’est illustré par une performance vibrante, où virtuosité et émotion se sont pleinement exprimées sur scène. Le bassiste et compositeur sénégalais était présenté parmi les têtes d’affiche du festival, aux côtés d’artistes de renom tels qu’Oumou Sangaré (Mali), Esperanza Balding (États-Unis), Meshell Ndegeocello (États-Unis), Gabi Motuba (Afrique du Sud) ou Steve Bedi (Ghana).
- Alune Wade, lors de la deuxième soirée du Standard Bank Joy Of Jazz Festival.
Avec ce concert, Alune Wade poursuit le fil de son projet New African Orleans, une exploration des racines africaines du jazz et ses liens entre l'Afrique et la Nouvelle-Orléans (États-Unis). L'album est actuellement en considération aux Grammy Awards dans la catégorie Best Global Music Album.
C’est au lendemain de cette prestation dynamique que nous l’avons rencontré pour évoquer sa performance, la portée historique de son projet et les trajectoires musicales qui nourrissent sa vision artistique.
Alune, vous venez de vous produire au Standard Bank Joy of Jazz. Comment avez-vous vécu cette rencontre avec le public sud-africain pendant ces deux nuits d’affilée ?
Nous avons vécu une très belle expérience et, honnêtement, je n’étais pas vraiment surpris. Nous avons joué devant un public habitué à la qualité musicale. Ce n’est pas seulement en Afrique du Sud : dans le monde entier, ce type d’événement attire des spectateurs exigeants. La qualité du public était à la hauteur de ce que nous proposions sur scène, et j’ai beaucoup apprécié. On leur a offert de la belle musique, de l’amour, et nous en avons reçu autant.
Pour moi, c’était la deuxième fois que je participais à ce festival, après 2016. Le refaire neuf ans plus tard, c’était un vrai plaisir.
Vous avez clôturé votre prestation avec « Bring Him Back Home (Nelson Mandela) » de Hugh Masekela. Quand vous prépariez votre prestation, avez-vous pris en compte des spécificités du public sud-africain ?
Pas vraiment. Je pense que notre musique s’adapte naturellement à ce public. Les Sud-Africains sont très ouverts et éclectiques, et notre répertoire, plutôt international, leur correspond bien.
Ce morceau fait partie de notre répertoire classique depuis trois ans. Je l’ai découvert il y a une trentaine d’années, à l’époque de l’apartheid, alors que Hugh Masekela vivait en exil. Je l’ai découvert en même temps que l’album Graceland de Paul Simon, qui inclut des collaborations avec des artistes sud-africains.
Nous terminons donc souvent nos prestations avec ce titre. Ce n’était pas une sélection pensée spécifiquement pour le public sud-africain, mais l'inclusion de cette chanson dans mon répertoire est une manière de rendre hommage à cette mémoire et à cette histoire.
Parlons de votre dernier album, New African Orleans. Vous cherchez à créer un pont musical entre l’Afrique en général et la Nouvelle-Orléans. Qu’est-ce qui a nourri cette intention et comment s’est déroulé le processus créatif ?
Je vais commencer par parler des influences. L’Afrique a influencé l’Amérique, et l’Amérique a influencé l’Afrique, notamment avec le jazz, arrivé sur le continent dans les années 1920. Les premiers orchestres au Sénégal ont été créés juste après la Première Guerre mondiale, comme en France et dans le reste de l’Europe. Cette musique a été popularisée par les G.I., les militaires américains qui débarquaient en Europe pendant la guerre. Nous avons donc toujours eu ces échanges culturels et musicaux. Par exemple, des orchestres comme l’Orchestre Baobab ont intégré très tôt des instruments et des influences jazz, qui ont progressivement nourri d’autres styles, comme l’Afrobeat.
Avec New African Orleans, je voulais mettre en lumière ce que nous partageons avec l’Amérique, non seulement en musique, mais aussi en culture, en histoire et en traditions. Ce lien, qui existe depuis 400 ans, ne se limite pas à la musique : il se retrouve aussi dans la cuisine, les traditions culturelles et spirituelles, comme le vaudou.
Cette fois-ci, j’ai voulu inverser le processus habituel : au lieu d’un Américain qui revient en Afrique pour retrouver ses racines, c’est l’Africain qui part explorer les branches perdues de son histoire à travers la Nouvelle-Orléans.
Les titres de l’album existaient depuis deux ou trois ans, mais l’enregistrement et l’enrichissement ont commencé récemment, avec des sessions au Nigeria, au Ghana, au Sénégal, en France et à la Nouvelle-Orléans. J’ai travaillé avec un réalisateur pour le film qui accompagne l’album, ainsi qu’un photographe pour le livre Tukki. Ces différents aspects du projet nous ont permis de retracer toute cette histoire.
J’écoutais justement avant l'interiew, le morceau « From Congo to Square » de l’album, qui fait référence au Congo Square, un lieu symbolique dans l’histoire du jazz à la Nouvelle-Orléans…
Exactement. Congo Square est un lieu emblématique de l’histoire de la traite négrière et du jazz à la Nouvelle-Orléans. C’était un espace où se réunissaient tous ceux qu’on appelait les « Nègres Congo », des personnes venues de toute la région d'Afrique centrale : le Congo, le Cameroun, etc. Cette chanson est donc un hommage à tous ces Africains déportés et à leur contribution à cette culture. Il faut savoir que tous ces noms comme le Sénégal, le Mali ou le Congo sont venus bien plus tard; ce sont des frontières artificielles qui ne reflètent pas toujours notre histoire collective.
En quoi ce projet a-t-il transformé ou confirmé votre identité artistique ?
Mon identité artistique était déjà bien établie avant ce projet, mais cet album la confirme encore plus. Chaque album que je compose raconte une histoire, et New African Orleans, est le reflet de ce que je suis et de ce que j’ai reçu de nombreux musiciens de différentes cultures. Je viens d’une famille de musiciens et j’ai été exposé à différentes cultures musicales ; mes œuvres en sont le reflet.
Je me considère comme un storyteller, chaque titre que je compose raconte une histoire, et cet album est un miroir de mon parcours, enrichi par toutes ces expériences.
Le jazz se nourrit de rencontres. Durant le festival, avez-vous croisé des artistes avec lesquels vous aimeriez collaborer à l’avenir ?
La plupart des artistes programmés, je les connaissais déjà. Les festivals jazz rassemblent souvent les mêmes têtes d’affiche. Malheureusement, nous avons eu seulement deux jours ici à Johannesburg, ce qui était trop court pour découvrir pleinement d’autres scènes, vues que la plupart des performances se passaient en même temps. Néanmoins, ces 48 heures ont permis de belles connexions qui, je l’espère, aboutiront à de futures collaborations.
Quels sont vos prochains projets ?
Dans l’immédiat, je vais me rendre aux Etats-Unis. Je suis programmé pour jouer au festival Earshot à Seattle (10 octobre-2 novembre). Nous allons ensuite à la Nouvelle-Orléans pour dix jours de résidence. Nous entamerons ensuite une tournée américaine, jusqu’à novembre.
Pour 2026, d’autres collaborations et titres inédits sont prévus, notamment la sortie de plusieurs morceaux qui n’ont pas pu figurer sur New African Orleans. Mais surtout, je continue à me consacrer à ce projet, qui n’est pas seulement un album : c’est aussi un film documentaire et un livre Tukki, avec un volet éducatif. Nous organisons des conférences avec des historiens et des projections dans les universités et les salles de cinéma dans les différents pays où je voyage.
C'est un projet qui demande beaucoup de travail, mais je suis entouré d’une équipe compétente pour le mener à bien.
New African Orleans est disponible sur toutes les plates-formes de téléchargement.
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