Comment vivre de sa musique à l’Île Maurice?
Par Laura Hebert
La musique fait partie intégrante de la vie de tout bon mauricien qui se respecte: en fond sonore pendant les heures de travail, en participation active pour les épiques, rassemblements du traditionnel camping sur la plage ou encore lors d’évènement tel que les anniversaires ou mariages.
En faire son métier reste cependant délicat puisque à ce jour le statut de musicien professionnel n’est pas reconnu sur l’île. Emlyn, jeune artiste prometteuse disait récemment à un journaliste du magazine Scope : « Il est dommage qu’à Maurice, on pense encore que la musique n’est qu’un passe-temps ».
Le musicien n’étant pas intégré dans le système social mauricien, se retrouve souvent confronté à une sous-évaluation de son savoir-faire et de sa valeur. Profitant de ce manque de règlementation, de nombreux amateurs, arrondissent leur fin de mois en grattant la guitare, rendant la tâche plus compliquée à ceux qui vivent exclusivement de la musique.
Heureusement, les choses devraient bientôt changer puisque le ministère des arts et de la culture a récemment réuni des figures du milieu artistique autour d’une experte de l’Unesco afin de donner leurs recommandations pour la mise en place du projet de loi « Statut of Artist Bill », qui reconnaitra le statut d’artiste professionnel.
Vivre de sa musique : croire en son art et de faire un plan de carrière pour y arriver
Il est important de bien différencier « vivre de la musique » et « vivre de sa musique », qui sous-entend vivre de ses propres créations.
A ce jour, la minorité d’artistes qui peut gagner sa vie grâce ses créations bénéficie, la plupart du temps, d’un accompagnement professionnel. Tel a été le cas du groupe OSB ou de Menwar à l’époque ou encore de Tritonik qui se produit toujours hors des frontières mauriciennes et sera notamment présent à l'édition 2017 du festival Sakifo à l’île de la Réunion.
La nouvelle vague quant à elle, n’a pas froid aux yeux et se projette déjà vers un avenir prometteur. Emlyn dit : « D’ici cinq ans, je me vois toujours là, bien ancrée sur la scène locale et enfin capable de gagner ma vie grâce à la musique ». La structure qui l’accompagne lui a récemment permis de faire une semaine de résidence avec l’artiste réunionnais Ti Loun. Résidence qui devrait déboucher sur plusieurs projets de concerts. Le manageur du jeune artiste Hans Nayna, lui, confirme que ce dernier vit de sa musique depuis quasiment un an. Avec déjà un album dans les bacs et un deuxième en préparation, il croit dans son projet et a la chance d’être encadré par des personnes qui planifient sa carrière de façon méthodique et se battent pour son avancement. Il part prochainement faire une résidence artistique à Madagascar, en partie, grâce aux fonds récoltés à travers ses concerts.
Lionel Permal, ancien membre du célèbre groupe Black Men Bluz, confirme le fait que « sans structure, il est compliqué de percer dans ce milieu. L’artiste ne peut pas être sur scène et en même temps s’occuper de la gestion du groupe. Ça entraine des malentendus au sein du groupe et finit par détruire la complicité scénique ».
La vente d’albums traditionnelle ou en ligne : des faibles revenus
Concernant la vente d’albums à travers les disquaires, cette époque est quasiment révolue. Les téléchargements illégaux n’étant que peu ou pas réprimandé sur l’île, les fans ne se donnent plus la peine d’acheter les albums. Une marche pacifique avait été organisée en 2016 à ce sujet par le Kolektif Artis Morisien qui souhaitait dénoncer le piratage.
Linzy Bacbotte, chanteuse et musicienne à plein temps, est catégorique sur le sujet du piratage : « l’album ne fait plus vivre l’artiste. Cela fait d’ailleurs un moment qu’elle ne compte plus sur ce que rapportent les ventes d’albums ».
Certains suivent la tendance et n’hésitent pas à mettre leur musique en vente sur les plateformes de téléchargement légal. Même si les ventes, ne garantissent pas un revenu extraordinaire, l’artiste gagne en visibilité, ce qui rejaillit automatiquement sur le reste et notamment la vente « bonus », plus traditionnelle de CD à la fin des concerts.
Principale source de revenus : les performances lives
La principale source de revenus pour les artistes musiciens à l’Île Maurice est sans aucun doute les performances Live. Bruno Raya, artiste reconnu, confirmait déjà l’importance des concerts dans un article paru dans le magazine scope en décembre 2015. Ce dernier, aussi producteur, offre d’ailleurs à travers son festival Reggae Donnsa, une jolie plateforme aux artistes reggae et seggae de l’île.
Les acteurs progressistes du milieu culturel comme Jorez Box, Valer Nou Kiltir, Culture events, Moov, Lively Up ou encore Move for Art contribuent beaucoup à la mise en valeur des artistes locaux en leur proposant des plateformes pour se produire en live mais également en les guidant sur le chemin de la professionnalisation. Ces derniers incitent vivement les artistes à s’entourer de professionnels afin d’élaborer un plan et à sortir un album, passage obligatoire, pour pouvoir prétendre aux scènes internationales.
Ces promoteurs culturels mettent en avant la création à travers des festivals de musique comme Dombeya, One live, Kaz’Out, Porlwi ou encore grâce à des rendez-vous mensuels comme les jeudis création, Zapéro, Kafe Kiltir. Les artistes qui se produisent sur ces plateaux bénéficient d’une bonne exposition aux yeux des Mauriciens mais également des touristes et des professionnels étrangers invités à venir voir les talents locaux.
Rôle des medias mauriciens dans la promotion des artistes
De manière générale, la diffusion des artistes locaux à la radio reste encore faible par rapport aux titres internationaux. Néanmoins, on doit féliciter les quelques animateurs passionnés et visionnaires qui font entendre leurs idées et insèrent progressivement dans les programmations habituelles, des émissions consacrées aux talents locaux.
Du côté de l’internet, les medias alternatifs comme les blogs ou autres réseaux sociaux offrent une visibilité accrue aux artistes possédant du matériel à publier, tel que des clips vidéo, mini reportage, captation de concert ou simplement des morceaux à écouter en ligne.
La presse écrite joue également son rôle en faisant la promotion d'évènements cités plus haut et par déclinaison des artistes qui s’y produisent. N’agissant plus seulement sur le papier, les quotidiens proposent maintenant une visibilité double grâce à internet (pour certain exclusivement en ligne pour d’autres les deux). Comme pour leur collègue de la radio, quelques pigistes contribuent énormément à l’avancement du mouvement artistique à Maurice. La plume pertinente de certain permet notamment de bien différencier la création, de l’animation musicale qui est également une source de revenus importante pour cette industrie mais, qu’il ne faut pas présenter de la même manière qu’un concert durant lequel un artiste présente son travail de composition.
Vivre de la musique : des revenus réguliers possibles à travers l’animation musicale
Nombreux sont ceux qui ont compris que pour pouvoir créer tout en payant les factures ils pouvaient faire le choix de l’animation musicale proposant des reprises locales et internationales. Ces prestations live de répertoire « cover » peuvent être une source de revenus importante et régulière. On observe un engouement autour de la musique live. Les animations de ce type sont régulièrement organisées dans les clubs de plage, bar, restaurant, hôtels mais également pour des évènements privés (anniversaire, fête de fin d’année…).
L’officialisation de la loi autour du statut d’artiste devrait prochainement entrainer la régularisation des cachets pour ce type de prestation et donner un accès privilégié à ceux qui en font leur métier. Ça sera un avancement énorme, qui permettra sans aucun doute à tous les artistes musiciens professionnels, qui veulent bien jouer le jeu, de vivre plus sereinement, leur donnant suffisamment d’espace pour leur propre création. Et j’imagine même que ces derniers pourront se permettre de proposer leur création pour des budgets plus accessible dès lors que les lieux de diffusion les contracteront officiellement, leur offrant une visibilité permettant de faire des plans.
Les droits d’auteur – revenus encore flou
La Right Management Society, est un organisme gouvernemental, en charge de collecter les redevances liées aux droits d’auteur et les redistribuer aux artistes.
Chaque composition enregistrée à la RMS correspond à une source de revenus potentielle pour les auteurs, compositeurs. Il faut néanmoins que chaque artiste prenne le temps d’enregistrer ces morceaux et de payer son adhésion.
Il semble cependant que nous ayons à faire à une gestion encore un peu bancale. Jean Jacques Arjoon, chanteur et président de l’association des auteurs-compositeurs mauriciens, déclarait à un quotidien : « Nous n’avons aucun détail sur le nombre de fois que nos chansons ont été diffusées, ni comment se fait le calcul ».
Parmi les revendications des musiciens et acteurs culturels mauriciens : le souhait est que l’organisme s’occupant de gérer leurs droits soit un organisme privé.
Sources: -One Live: https://www.facebook.com/onelivemuzikfestival/ -Dombeya: https://www.facebook.com/DombeyaMusicFestival/ -Porlwi: http://www.porlwi.com/ - https://www.facebook.com/porlwi/ -Zapero: https://www.youtube.com/watch?v=KXv9kNc7i_M - https://www.facebook.com/LesZaperos/?fref=ts -Jeudi Creation: https://www.youtube.com/watch?v=GSMNIprZbQY -Kaz’Out: http://www.kaz-out.com/ - https://www.facebook.com/kazoutfestival/ -Reggae Donn Sa: https://www.facebook.com/festivalreggaedonnsa/?ref=ts&fref=ts -Emlyn: http://www.lemauricien.com/article/musique-aerienne-comme-emlyn#.WLbfO2KjEm8.facebook https://www.facebook.com/emlynmusic12/?fref=ts -Linzy Bacbotte / Bruno Raya: http://www.lemauricien.com/article/musique-locale-les-artistes-persistent-malgre-piratage -Hans Nayna et Lionel Permal: déclaration par téléphone
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