Stromae, un spectacle à lui tout seul
Le concert de Stromae de ce mercredi 13 mai au Monument de la Renaissance est sans doute la preuve que savoir chanter, cela ne suffit pas toujours. Etre artiste, c’est aussi savoir se construire son univers et son propre personnage. Stromae chante, danse, joue, amuse la galerie, se met en scène, imite, se déguise, se dédouble etc. Dans le public, à la fin de ce spectacle, certains diront n’avoir pas d’autre mot que «Formidable», titre d’une de ses chansons les plus populaires. Stromae, c’est aussi cet artiste perfectionniste avec ce besoin quasi obsessionnel de vouloir toujours tout prévoir. La soirée avait pourtant mal commencé…
Stromae n’est pas vraiment «monté sur scène». Du moins, pas de façon classique ou orthodoxe, ni même entendue. L’artiste se contentera plutôt d’une apparition à la fois subtile et mystérieuse, de l’ombre à la lumière, et sans doute aussi spectaculaire que son fantaisiste personnage qui s’amusera surtout à jouer les illusionnistes. Un peu comme s’il avait toujours été là… Qui sait seulement combien de temps il est resté là, à observer de façon discrète ou espiègle…Toujours est-il que ce mercredi 13 mai sur la scène du Monument de la Renaissance, c’est au milieu des cris de spectateurs aussi éblouis que surpris par cette intrusion inattendue, que s’introduira Stromae, sur un titre aussi explicite d’ailleurs que «Ta fête», quoique les paroles elles-mêmes ne soient pas très gaies.
Mais c’est aussi cela, l’univers artistique de Stromae : un discours plus ou moins glauque, des paroles graves, une musique décalée qui s’assume, un permis de danser à toute épreuve etc. Le public n’a d’ailleurs pas eu l’air de s’en faire plus que cela, sauf que la prestation du chanteur belge sera très vite perturbée par une petite défaillance qui serait due à une panne d’électricité: plus d’images, plus de son, Stromae disparaît, et c’est le trou noir pendant quelques minutes. Dans le public, pas de huées, mais on l’appelle déjà, à cor et à cri. Certains jeunes entonnent même l’un de ses succès les plus populaires: «Formidable». Le chanteur belge retrouve ensuite la scène où sans entrer dans les détails et malgré son petit air désolé, il évoque un «petit problème» qui sera très vite oublié d’ailleurs. Côté spectateurs, on trouve même le moyen de banaliser ou de dédramatiser: «Au moins comme cela, il comprendra qu’il est au Sénégal», un peu comme si tout cela faisait aussi partie de l’accueil. «Qu’il ne s’en formalise pas, on est habitué ici», ironisera encore une jeune femme.
Stromae lui-même effacera tout. Sur scène, l’artiste est un personnage à lui tout seul: «complet… mortel… trop fort!» dit-on dans le public. Ses chorégraphies endiablées ou déjantées, cette façon très spéciale qu’il a de jouer les pantins désarticulés, de glisser sur scène ou de faire danser son micro, cette sorte de complicité quasi naturelle avec ce public qu’il découvrait à peine et qu’il s’amusera à titiller. Comme lorsqu’il attribuera le fameux vin français au Rwanda, le pays de son papa, entre deux éclats d’un rire contagieux. Sur un titre comme «Bâtard» justement, une chanson sur l’identité et sur l’hybridité, il explique qu’il n’est ni blanc ni marron, et qu’il est sans doute difficile à cloisonner.
Une identité artistique démultipliée
Cette identité plurielle, on la retrouve jusque dans sa démarche artistique. Stromae ne se contente pas d’être chanteur; il a l’art de se mettre en scène. Face à un public littéralement conquis, il se retrouvera dans la peau d’un maître d’école auquel il faudra obéir quasiment au doigt et à l’œil, et idem lorsqu’il s’amusera à jouer les chefs militaires, faisant tourner les têtes des spectateurs sur un «gauche-droite» drôle à souhait. Au-delà de la musique, ces petits intermèdes humoristiques créeront une sorte de récréation-respiration. Il arrivera même qu’à deux ou trois reprises, l’artiste s’adresse en wolof à son public sénégalais, se moquant même de nos interminables salutations: «Na nguène dèfe waye ?» pour «Comment allez-vous?», ou encore «Diadieuf waye» pour dire merci, et sans accent s’il vous plaît…
De quoi surprendre un peu tout le monde, évidemment! Un talent d’imitateur que Stromae confirmera ensuite sur «Ave Cesaria», le morceau de musique que le jeune trentenaire a composé pour rendre hommage à la défunte chanteuse capverdienne Césaria Evora, «le visage de la mélancolie» selon lui. Venant de Stromae, c’est sans doute un compliment.
Stromae chante, danse, joue, interprète et se métamorphose aussi, et à la vitesse de l’éclair. L’artiste profitera souvent des petites interruptions qu’il y a d’une de ses prestations à l’autre, dans ce court délai entre l’obscurité et la lumière, pour faire peau neuve et jouer les transformistes. Une démarche à la fois pratique et spectaculaire. Les longues chaussettes grises qui vont jusqu’aux genoux ou le short assorti, l’éternel nœud papillon dont il ne se débarrassera que pour jouer les ivrognes paumés lorsqu’il interprètera «Formidable», même s’il se contentera surtout d’écouter un public qui «connaissait la chanson». Il y a aussi la veste tigrée de «Tous les mêmes», où Stromae se met dans la peau d’une femme, se pomponnant, adaptant et sa démarche et sa voix à son personnage. Ou encore l’ensemble vert imprimé de son tube «Papaoutai», expression d’un inclassable «style Stromae». Au cours de ce concert où il sera très applaudi du début à la fin, le public va découvrir la garde-robe de l’artiste, au-delà des virtuels écrans de télévision. Mêmes tenues, mêmes accessoires que dans ses clips… Une constance qui ferait presque de Stromae le drôle de personnage d’une bande dessinée.
Concert de Stromae: "Des places «trop cher payées"
Kany, une jeune femme que nous avons trouvée debout sur une chaise rouge qui lui a coûté 25.000 F.CFA, regrette d’avoir déboursé autant. Surtout si c’est «pour ne rien voir » comme elle dit. «La scène était magnifique, le son impeccable, l’artiste tout simplement génial» explique-t-elle, mais les places assises étaient plus ou moins décalées par rapport à la scène.
Véronique explique qu’elle se souviendra elle aussi de ce «superbe spectacle», mais que malheureusement, pour ce qui est de l’organisation, les places assises n’étaient finalement pas si «confortables» que cela. À tel point qu’elles finiront même par ne plus servir à grand-chose, certains spectateurs préférant se mettre debout, pour avoir une tête de plus et une meilleure vue sur la scène. Ce qui obligera les autres à en faire de même, histoire de ne rien manquer du spectacle. Si on veut être assis dira une dame qui a très vite renoncé à sa chaise rouge, dès les premiers instants du concert d’ailleurs, «autant aller au théâtre».
Les plus heureux de cette soirée, ce sont sans doute tous ceux qui ont acheté leurs billets à 10.000 F. CFA, une somme qui leur donnait accès à tout l’espace qui faisait face à la scène. Certains d’entre eux diront d’ailleurs qu’ils avaient comme l’impression que Stromae «ne chantait ou n’avait d’yeux que pour (eux)».
Théodora Sy Sambou (Sud Quotidien)
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