Stratégies de résistance des rythmes traditionnels nigériens
- Par Mélodie Petit
Au Niger la musique traditionnelle a résisté aux pressions étatiques en se modernisant et en s’exportant.
Pressions sociales, politiques et religieuses
Au moins 6 groupes ethniques cohabitent sur le territoire nigérien. Ainsi, les touarègues occupent le nord du pays, les haoussas sont présents au centre, à l'est et jusqu'au Nigeria, les zarmas et les songhaïs sont à l'Ouest, les peuls sont répartis sur tout le territoire. Le pays compte aussi des borroros.
Chacune de ces ethnies, dont la liste n'est pas exhaustive, a une musique traditionnelle qui lui est propre. Les rythmes traditionnels seront ici considérés par opposition aux styles « importés » de l'Occident : le hip-hop.
Le reggae, par son rythme issu des percussions africaines, occupe une place intermédiaire entre tradition et modernité.
Si certains rythmes traditionnels ont été valorisés dans le cadre d’une politique de transmission, ceux des touarègues ont été prohibé à plusieurs reprises. Mais ces interdictions ont plus eu pour effet de renforcer la popularité du blues touarègue, notamment à l'international.
Dans ce pays où le poids des traditions souvent liées aux religions est si important que certaines chansons étrangères jugées trop suggestives ont parfois été socialement censurées. Comment les rythmes traditionnels nigériens se sont organisés pour contrer les censures étatiques et sociales ? Ont-ils eu besoin de le faire ?
Panorama des rythmes traditionnels au Niger
Globalement, le Niger a 8 ethnies[i], dont les majoritaires sont les haoussas, les zarmas, les touarègues et les peuls. Chacune a sa propre musique traditionnelle, sauvegardée par les musiciens eux-mêmes par leur volonté de transmission.
Les haoussas représentent 55,4% de la population nigérienne estimée à 19 865 066 millions en 2016[ii].
Les haoussas sont une société très hiérarchisée, leur répertoire musical se concentre principalement sur les chants de louanges. Les mélodies de ce groupe ethnique ont un but principal : éduquer.
Ils utilisent de nombreux instruments, tels le shantu, percussions faites à partir de longues courges, la vièle, ou encore le kalangu, un tambour à tension variable.
Les zarmas, qui composent 18,2% des nigériens, ont eux aussi des musiques très variées. Le mooto est la musique des griots, conteurs et musiciens, qui chantent les histoires des ancêtres, accompagnés du kuntiji, une guitare monocorde, ou du moolo, une sorte de luth à trois cordes. Le bitti est leur musique sacrée, jouée lors des transes Foley, avec le goje, un violon et le gaasu, une calebasse.
La musique des touarègues, représentant 9,3% de la population, est nommée tergui. Musique ancestrale qui mêle les sonorités berbères et rythmes présents dans plusieurs autres pays d'Afrique noire, elle est le plus souvent chantée en chœur, avec le soliste (l'abexniw), le joueur de tambour (le gellal), et le joueur de bengri, une sorte de luth, ou de temja, une flûte.
Le blues touarègue est aujourd'hui également très populaire, incorporant à cette configuration traditionnelle l'usage d'une guitare, électrique ou acoustique. Cette dernière est devenue objet symbolique des rébellions touarègues.
Les peuls représentent 8,5% de la population du Niger. Ils sont une société nomade organisée en lignages : contrairement aux peuls d'autres pays, la pratique de la musique ne se limite pas à faire les éloges des nobles et n'est pas réservée aux classes inférieures. Chez les peuls du Niger, la musique peut être pratiquée par des membres de toutes les strates sociales. Ils utilisent notamment le duudaandu, soit la flûte, et l'odiliiru, une clarinette en tige de mil, pour accompagner les chants collectifs.
La diversité des musiques traditionnelles au Niger est donc particulièrement vaste. Le groupe Tal National joue de cette diversité : composé de dix-sept membres issus d'ethnies nigériennes différentes, chacun y apporte sa sensibilité, son répertoire et ses sons à ceux du rock.
Tal National connait un franc succès notamment aux États-Unis d'Amérique et en Angleterre grâce à l'harmonie musicale qu'il a su créer.
La transformation de la musique traditionnelle nigérienne
En dehors de la musique touarègue, la musique traditionnelle nigérienne n’a pas trop subi de persécutions malgré les tensions liées aux incursions des extrémistes religieux. La configuration politique du Niger fait que la plupart des régions et zones ethniques sont associées dans le gouvernement. L’absence de barrière naturelle entre certaines zones du territoire a évité que se développe un important sentiment de repli identitaire terreau propice aux déchirements inter-communautaires. Mais le Niger est tout de même confronté à une importante crise armée intérieure[iii].
Dans les années 1990, le gouvernement nigérien a interdit la musique traditionnelle touarègue dans l'espoir de restreindre les appels au combat. Cette censure a plutôt renforcé le poids et la légitimité de la défense du patrimoine culturel des touarègues.
Lors de la seconde grande rébellion, au début des années 2000, le gouvernement nigérien a interdit la guitare aux touarègues.
À ce titre, la musique traditionnelle touarègue s’est modernisée pour résister aux pressions. Ce style musical n’a pas arrêté d’adopter un ton revendicatif voire politique. Aujourd'hui, de nombreux groupes s'appuient sur cette image de rebelle, qui s'est construite grâce à la censure des gouvernements nigériens.
En Europe et aux États-Unis, ils sont directement associés à ce statut de rebelle, duquel ils tirent une légitimité communautaire et artistique. Les albums et les reportages s'intéressant à la musique touarègue adoptent toujours un point de vue politique, comme dans la première compilation réunissant les principaux artistes de blues touarègue en 2008, Ishumar, musique touarègue de résistance, ou encore dans le documentaire réalisé par l'américain Ron Wyman dans les années 2010, Agadez, the Music and the Rebellion.
Conclusion
Le Niger a une grande richesse culturelle en général et musicale en particulier : au moins 6 groupes ethniques principaux, et chacune des ethnies qui les compose ayant sa propre musique traditionnelle.
Le Niger dispose de plusieurs spécificités politiques et traditionnelles (mariages intercommunautaires) qui ont permis d’éviter le repli communautaire[iv].
La musique traditionnelle nigérienne la plus persécutée est celle de l’aire touarègue. Afin de résister aux pressions et contraintes, ce style musical s’est modernisé et a pu conquérir le marché musical international. L’inclusion de guitares modernes a eu au moins deux effets positifs sur la musique traditionnelle touarègue : elle a facilité l’exportation de ce style musical et elle a permis aux populations de résister aux pressions étatiques.
Références
https://tel.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/556639/filename/these_Deycard.pdf
http://www.rfi.fr/emission/20161029-niger-musee-instruments-musique-traditionnelle-musiques-culture-societe-patrimoine
http://musique.rfi.fr/musique/20050726-rappe-le-niger
http://www.jeuneafrique.com/mag/356335/culture/musique-niger-incontournable-black-mailer/
http://www.jeuneafrique.com/302441/politique/niger-lartiste-hamsou-garba-soutien-de-hama-amadou-a-ete-liberee/
http://www.otcaecidniger.org/fr/news/niger-a-inaugure-un-musee-des-instruments-de-la-musique-traditionnelle-avec-l-aide-de-l-aecid
http://www.jeuneafrique.com/mag/270957/culture/niger-tal-national-succes-mondial/
[i] http://www.stat-niger.org/statistique/
[ii] http://www.stat-niger.org/statistique/file/DSEDS/TBS_2016.pdf
[iii] http://news.aniamey.com/h/81065.html
[iv] http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/08/11/crise-au-sahel-pourquoi-le-niger-s-en-sort-mieux-que-le-mali_5171344_3212.html
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