Les médias et la promotion de la musique au Tchad
Par Jean-Pierre KILA ROSKEM
Les médias constituent, comme les festivals et autres concerts divers, des vecteurs importants de la musique au Tchad.
- Une station radio. Photo: DR
À N’Djamena la capitale où sont concentrés la quasi-totalité des médias, la presse et les radios mais aussi la télévision nationale jouent un rôle d’autant plus important en matière de promotion de la musique que les ondes ne s’arrêtent pas uniquement aux frontières internes des territoires urbains.
À travers la nature de leurs discours (je me baserai sur l’analyse de contenu de quelques entretiens réalisés dans le cadre de mon travail de thèse de doctorat) et le traitement que les médias accordent à la musique à travers des émissions radiotélévisées, on comprend que la notion de promotion est à saisir sous plusieurs angles.
Cet article interroge, à partir de quelques cas de journaux et d’émissions radiotélévisées, la manière dont les médias donnent sens à la notion de « promotion ». Si les journaux s’intéressent aux artistes qui abordent des thématiques spécifiques pour faire écho dans leurs colonnes, la radiotélévision quant à elle à, travers ses émissions, fait cette promotion en offrant un espace d’expression aux amateurs de la musique.
La musique comme projet de société et antidote de la guerre
À N’Djamena la plupart des journaux, bien qu’ils aient un statut de journaux d’information générale et politique, accordent une place à la culture. S’il est vrai que chacun de ces journaux peut à juste titre être perçu comme un vecteur de promotion de la musique, il est également utile de souligner qu’ils n’appréhendent pas cette fonction de la même manière. L’exemple de deux journaux emblématiques à N’Djamena permet de comprendre les fondements de cet attachement.
Le journal Tchad et Culture, créé en 1961 est une publication du Centre de d’ Études et de Formation pour le Développement (CEFOD).
Tchad et Culture est considéré moins comme un journal que comme une revue analytique qui s’adresse à l’élite intellectuelle : enseignants, chercheurs, universitaires et leaders politiques. Son titre résume d’ailleurs sa ligne éditoriale : « Écrire sans travestir. Informer sans manipuler, analyser sans préjugés ».
Le caractère élitaire de la revue s’affirme dans le style de sa mise en page et dans la qualité de ses contributeurs, qui lui confèrent une place à part dans le paysage de la presse tchadienne et font de cette revue un outil de réflexion au service des cadres du pays.
On retrouve ce souci permanent de qualité dans les critères qui président au choix et au traitement des sujets concernant la musique.
« Si vous voyez bien, nous sommes très sélectifs dans les interviews que nous demandons à certains artistes. D’abord quelle est l’aura de cet artiste sur le plan national et international ? »
La singularité ici d’abord se résume à la visibilité de l’artiste sur la scène nationale ou internationale. Parler de la musique, c’est faire référence prioritairement aux artistes consacrés dont la carrière est déjà établie. L’effet n’est donc pas de propulser sur le devant de la scène médiatique de jeunes talents ou de se coller à l’actualité musicale.
Tchad et Culture ne crée pas des réputations, il ne fait que consacrer des valeurs sûres. Le meilleur exemple est sans doute celui de Mounira Mitchala dont le journal se plaît à saluer la carrière internationale grâce au Prix Découvertes RFI 2007.
Une autre forme de singularité à laquelle Tchad et Culture est sensible, c’est surtout la référence à la vision du monde que tout artiste exprime :
« Nous avons également parlé de Audrey Linda Shey par rapport à son projet de société qui est celui de créer un centre de réinsertion professionnelle des jeunes parce qu’elle-même avait connu une enfance difficile. Donc il faut qu’il y ait des musiciens pour porter des projets ».
Le défi de l’insertion des enfants de la rue fait partie aujourd’hui des problèmes urbains auxquels l’ensemble des acteurs sont confrontés. Ce qu’il faut retenir, au-delà de cet exemple, est que l’engagement de l’artiste devrait être quelque chose de profond, c’est-à-dire une réponse aux maux dont souffre la société. Une telle perception de l’artiste comme un acteur de développement s’oppose à la logique courante qui assigne l’artiste à l’image du griot.
Quant au journal « Toumaï Culture » qui est une initiative du Réseau des Journalistes Culturels Tchadiens (RJCT), une structure associative née de l’initiative de plusieurs journalistes issus des médias publics et privés, la perception de la musique est à saisir à travers cette vision des responsables :
« Nous nous sommes dit qu’il faut arrêter de dire que le Tchad est un pays de guerre. Nous nous sommes rendu compte qu’à travers la culture, nous pouvons présenter une bonne image du Tchad à l’extérieur ».
Comme on peut le constater, il s’agit d’une prise de position qui consiste à déconstruire l’image historique guerrière du Tchad et à se servir de la musique pour parvenir à ce but.
La création en 2009 du journal « Toumaï Culture » dont le titre à lui seul proclame le caractère patriotique et rassembleur de tous les arts est l’occasion de concrétiser ce choix en distinguant les musiciens qui font de la paix leur leitmotiv.
Ainsi, la musique est considérée ici, moins pour sa dimension esthétique que comme un moyen de lutter contre les déchirures du tissu social ou les dissensions ethniques grâce au pouvoir unificateur qu’on lui prête.
Les émissions radiotélévisées, une instance d’expression pour les amateurs de la musique
Si les journaux s’intéressent plus aux artistes, les radios et télévisions se focalisent sur les amateurs de la musique en leur offrant un espace d’expression. Deux émissions principales, « Guest Star » et « Espace Jeunes » permettent de saisir cette dimension de promotion de la musique par les médias.
En effet, si « Guest Star » offre aux jeunes la possibilité de faire des interprétations musicales à l’antenne, « Espace Jeunes », qui joue à la fois sur le son et sur l’image, propose plusieurs disciplines qui rencontrent les goûts des jeunes sur des terrains divers (musique, danse, culture générale…).
L’une des caractéristiques de ces rendez-vous est donc, pour les jeunes, l’opportunité de se mettre en valeur et de déployer des modes de présentation de soi.
Pour arriver à stimuler la participation et l’engouement des jeunes à ces émissions, la compétition apparaît comme la principale stratégie :
« Je me suis dit que pour réveiller les jeunes, il faut les mettre en compétition. Donc il faut créer un cadre qui leur permet de s’affronter. D’une manière intellectuelle et artistique, il faut qu’ils arrivent à dégager ce talent caché en eux ».
La singularité de ces cadres d’émulation est qu’ils offrent aux candidats un moment de rupture avec le quotidien, un espace d’évasion, l’accès à un statut privilégié qu’ils peuvent conserver plus ou moins durablement :
« Le jeune interprète prend le pseudonyme de l’artiste, il incarne l’artiste. Quand quelqu’un vient nous dire qu’il veut interpréter la chanson de Daïsson par exemple, on l’appelle par le nom de l’artiste ».
Il s’agit d’une « transformation » qui consiste à sortir de soi pour incarner un autre personnage, une star tchadienne dans le cas présent.
Les médias aident les jeunes amateurs à accéder à un statut rêvé. À voir la diversité des origines de ces stars qui sont américaines, européennes, africaines mais également tchadiennes, on peut se rendre compte de la richesse et de la diversité de la culture musicale dont témoignent les jeunes.
En guise de conclusion :
Les médias contribuent de diverses manières à la promotion de la musique au Tchad. Ils occupent à la fois le pôle de la création (artistes) et celui de la consommation (publics) en ayant deux approches distinctes. Ils constituent pour beaucoup de musiciens confirmés aujourd’hui, comme la famille et la chorale, l’une des principales instances de formation musicale au Tchad.
En outre pour de nombreux jeunes déshérités ou vivant dans les périphéries de la ville, l’accès aux médias à travers les émissions est synonyme d’émancipation et une revendication d’appartenance à la ville.
Sources: Entretien avec le Rédacteur en Chef de Tchad et Culture. Entretien avec le Secrétaire Général du Réseau des Journalistes Culturels Tchadiens. « Toumaï », faut-il le rappeler, est le plus ancien des hominidés ; âgé de 7 millions d’années, il a été découvert au nord du Tchad en juillet 2001. Il signifie aussi « espoir de vie » en langue gorane (une des langues parlées au Tchad). Entretien avec l’animateur de l’émission Espace Jeunes. Entretien avec l’animateur de l’émission Guest Star.
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