Les femmes dans la musique centrafricaine
Par Julien LeGros
Depuis son Indépendance le 13 août 1960, l'actuelle République centrafricaine pâtit d'une instabilité qui explique en partie la méconnaissance des artistes centrafricains à l'internationale. L'état précaire de l'industrie musicale centrafricaine fait que beaucoup d'entre eux cherchent des fortunes diverses à l'étranger. A l'instar de Lætitia Zonzambé qui vit au Canada.
Une anecdote qui nous a été racontée par la chanteuse Idylle Mamba lors de l'événement « Solidarité Centrafrique » au Théâtre de la Ville de Paris en mars 2014 est révélatrice du déficit d'image dont souffrent ces musiciens: « Chaque fois qu'on me demandait d'où je venais, il fallait que je dise le pays de Bokassa pour que les gens comprennent». Pourtant le pays ne manque pas de talents. Nous allons retracer le parcours de quelques chanteuses sans prétendre à l'exhaustivité.
1. Les pionnières
La première génération d'artistes centrafricains contemporains est dominée par la rumba congolaise « à la centrafricaine ». D'ailleurs, le musicien centrafricain Jimmy Zième dit Zakari, a côtoyé Docteur Nico, Franco et Joseph Kabasélé dans l'ex-Zaïre avant de retourner à Bangui en 1957. Dans les années 70 et 80, des orchestres rumba apparaissent et disparaissent dont le Super Bazombi, Africa Lokombé et surtout la fameuse Canon star. Princess Leoni Kangala est une pionnière dans ce milieu très masculin. Née en 1953, elle est la nièce de deux vétérans de la musique centrafricaine Bepka et Mayélé et la fille du politicien Prosper Kangala. Ancienne speakerine de la télévision centrafricaine, Princesse débute le chant en 1977 avec ses cinq frères, au sein du groupe Manganga. Sollicitée par plusieurs orchestres du pays, elle poursuit sa carrière à Paris en 1980.
En 1990, elle sort son premier album « Sengue sengue » et remporte le Prix Découvertes RFI en 1996. Le titre « Mama kété » est son plus grand succès. En 2000, elle chante avec le groupe Maigaro. En 2012, elle est nominée aux Kora Awards pour le titre co-écrit avec Pili-Pili Magalé, baptisé « Nzara ». La Princesse qui chante en sangho et en yakoma, la langue de son pays natal, n'a pas dit son dernier mot!
Plus disparate est la carrière de Lydie Gbaguènè alias Lydie la Belle. Née en 1970 à Bangui, Lydie débute la musique avec le groupe les Muziki en 1990. Le titre « Prétoca », composé pour la Compagnie pétrolière centrafricaine, est un grand succès. En 1996, elle est recrutée par le groupe Tropical Fiesta. Le groupe accompagne notamment le chanteur Congolais Madilu System lors de sa tournée à Bangui en 1997. Depuis 1998, Lydie la Belle a continué en France sa carrière, avec des hauts et des bas en accompagnant de nombreux artistes Africains et Antillais.
Dans un tout autre style, la cantatrice centrafricaine Lydie Pace (qui se prononce Patché), a fait une brillante carrière en France dès l'âge de 22 ans. En 1993, elle obtient sa première récompense : le Prix de Chant Lyrique. Deux ans plus tard, Lydie Pace remporte le 2ème Prix du Concours International des Maîtres du Chant Français. En 1996, elle fréquente la classe de chant lyrique au Conservatoire du Centre de Paris. Depuis lors, elle enseigne le chant pour enfants, jeunes et adultes. La cantatrice s'est illustrée notamment sur les opéras Roméo et Juliette de Gounod ou encore Aida de Verdi. En 2003, Lydie Pace, qui n'a pas oublié d'où elle vient et qui a chanté des opéras en langue sangho, s’est produite dans les ambassades et centres culturels français d’Afrique centrale à Libreville, Douala et Yaoundé
2. La nouvelle génération Afro-pop hip-hop
La cinquième génération d'artistes centrafricains donne plus de place aux femmes. Parmi les chanteuses actuelles, on peut citer Lætitia Zonzambé qui vit à Montréal et est très suivie par la diaspora centrafricaine. En 2013, elle a milité pour que son pays retrouve la paix en chantant pour le collectif « SOS pour la paix en Centrafrique ». L'année suivante, elle a sorti son deuxième EP « Sanza », du nom d'un vêtement fait de pagnes colorés. Cette jeune femme s'inspire à la fois de rythmes modernes r’nb et de traditions centrafricaines bien ancrées, comme les chants des femmes yakoma et les polyphonies pygmées. Sa chanson « Dodo » signifie danse en langue sangho.
Dans cette jeune génération, Corry Denguemo, chanteuse de père centrafricain, de mère camerounaise, qui vit aujourd'hui à Paris, a commencé par le rap à Yaoundé: « je me suis mise au chant tout doucement. Je ne savais ce que c'était une note, une gamme. Je voulais comprendre ce qu'est la musique. En 1996, le groupe Macase cherchait une chanteuse pour une date qui était la plus importante depuis leur création. Leur chanteuse Nelly-Rose Atangane était partie étudier au Gabon. Je suis restée dans le groupe ».
Même si elle a essentiellement vécu au Cameroun, Corry Denguemo est très influencée par ses racines centrafricaines: « J'ai le nom de ma grand-mère Denguemo. Tous les gens qui l'ont connue en Centrafrique ou au Cameroun trouvent qu'elle a été réincarnée à travers moi. Je ressens ce côté centrafricain qui par moments domine par mes habitudes, ma façon d'être, ma manière de voir la vie. Je me sens plus proche, en termes d'éducation, de mes petits frères qui vivent en Centrafrique. Je vais de temps en temps à Bangui quelques semaines. Je chante un peu en sangho avec l'aide de mon père et aussi en ewondo la langue de ma mère ».
Déa Nam Gann alias Mamy Wata, qui vit dans le Midi-Pyrénées dans le sud de la France, est issue de l'ethnie Baya, qui a repoussé la colonisation française en Centrafrique. Fille d'un réfugié politique sous Bokassa 1er, elle débute sa carrière avec son groupe en 2001. Investie auprès d'une association française Monti Doamadi pour la construction d'orphelinats en RCA, l'artiste a produit en 2011 l'album « La promesse » aux textes poétiques slam et engagés.
Enfin Lydie Cerbonney, alias Idylle Mamba, est sans doute l'artiste féminin centrafricaine qui a eu la plus grande reconnaissance internationale. Finaliste du Prix Découvertes RFI 2014, Idylle Mamba a trois albums à son actif: « Sango et vous » en 2010, « Bekou » en 2013 et « Nzangue » en 2015. Installée au Cameroun depuis 2008, Idylle Mamba a vécu dans sa chair les tiraillements de son pays, jusqu'à la troisième guerre civile de 2013-2014: «J'ai vécu les années blanches des années 90, même si j'étais petite, les mutineries, le coup d'état de 2003 », se souvient-elle. « Nos dirigeants ne sont pas des patriotes. Ils ne pensent qu'à leur poche. Le bas peuple centrafricain doit se dire: « Mais cette guerre qu'on vit en ce moment, elle est pour qui? », s’interroge la chanteuse. Le clip « One Africa (chanson pour la paix en Centrafrique) avec Youssou N'Dour, édité en février 2014. illustre cet engagement.
Idylle Mamba a débuté la musique en 2004, à 14 ans, au sein d'un groupe de jeunes filles, Focus Masséka qui chantaient... avec des instruments de cuisine: « En Centrafrique on n'a pas d'écoles de musique, de structures d'accompagnement pour l'art. J'ai eu la chance d'être née dans une famille qui aime la musique. Ma mère était présidente de la chorale de notre église où je me rendais avec mes grandes sœurs ».
Son style, Idylle Mamba l'appelle Centrafrik ailleurs, un joyeux mélange de rythmes traditionnels comme le Ngargué du nord du pays de son village de Batangafo, le Motenguènè du sud du pays, le yangba bolo, mais aussi du blues et du jazz:
« Quand quelqu'un me demandait quel genre de musique je fais, pendant très longtemps je n'arrivais pas à expliquer. Je n'avais pas de style particulier, alors j'en ai inventé un». Idylle, qui a composé « Petite soeur », la chanson contre l'excision, revendique une forme de féminisme à l'africaine: «Il faut que les femmes soient leaders. Je me sens féministe dans le sens où j'essaie de m'émanciper et dire aux femmes de prendre leur vie en main. Les femmes chez nous attendent trop que tout vienne de l'homme. Quand tu dépends de quelqu'un, cette personne dirige ta vie et a tous les droits sur toi. Si tu veux être acteur de ta vie il faut se battre, se lever, travailler. C'est un appel aux femmes à être elles-mêmes ».
Le message est lancé!
Sources: Histoire de la musique centrafricaine Maziki.fr, le site de Sultan Zembellat http://maziki.fr/ Le site Afrisson : http://www.afrisson.com/Mamy-Wata-9311.html Page facebook de Laetitia Zonzambe : www.facebook.com/Laetitia1.Zonzambe/ Le site web officiel de Corry Denguemo: http://www.corrydenguemo.com/ Le site internet d’Idylle Mamba : http://www.idyllemamba.com/ Certaines citations sont extraites d'entretiens réalisés par l'auteur en 2011 et 2014.
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