La Nakamurance
À moins que vous ayez émigré sur une île déserte ces dernières années, vous ne pouvez pas être passé.e à côté du phénomène Aya Nakamura. Je l’assimile à un phénomène, et vous comprendrez pourquoi avec les lignes qui vont suivre.
Son premier album, sobrement intitulé Journal Intime, voit le jour en 2017. Certifié disque de platine depuis, il est immédiatement suivi d’un deuxième – Nakamura – en 2018. Je peux dire sans hésitation aucune que ce deuxième opus est celui de la confirmation.
Qui n’a pas entendu au moins une fois en deux ans les paroles entêtantes de « La Dot », « Dja dja », « Copines » ou encore « Dans ma bulle » ? Pas moi en tout cas … Car malgré le fait que je soie une anti-télé assumée, je n’ai pas pu échapper au matraquage médiatique autour de Aya Nakamura. Si j’ai pu m’y soustraire à travers la petite lucarne, je n’ai pas pu le faire sur les réseaux sociaux, particulièrement Twitter et Youtube, où ses clips m’étaient tout le temps suggérés. Et parlons-en de ces clips : explosion de couleurs, chorégraphies répétées à l’envi par les innombrables fans, formes savamment mises en avant, la sauce Aya avait tout pour prendre.
Mais à côté de ce succès fulgurant, l’autre côté de la médaille est peu reluisant. Comme l’écrit Bell Hooks dans From center to margin (hooks, 1984) : « À partir du moment où l’on commence à agir d’une manière qui dévie la norme de quelque façon que ce soit, il apparaît alors clairement qu’en réalité, il n’y a pas qu’une seule bonne manière de gérer ou d’interpréter les situations ».
Et il est clair que dans le paysage médiatico-culturel français, Aya détonne et s’écarte de la norme, blanche, qui plus est. De ma position d’outsider dans cette société, je suis tous ces débats autour de la race avec beaucoup d’intérêt, car autant ceux-ci n’ont jamais été aussi présents, autant la volonté d’homogénéiser autour d’un idéal commun français où les couleurs sont gommées, n’a jamais été aussi prégnant; faisant fi de la croyance, de la couleur de la peau et de l’origine sociale. En d’autres termes, entre le classisme, le racisme et le sexisme, Aya Nakamura coche toutes les cases.
Kimberlé Crenshaw aurait pu procéder à une actualisation de Mapping the margins (Crenshaw, 2005) avec la figure médiatique d’Aya Nakamura.
Twitter, réseau social par excellence pour étudier les discours médiatiques, est le catalyseur quotidien des joutes verbales entre les fans d’Aya, ses pourfendeurs et les médias. Il y a à boire et à manger …
Car les médias participent à entretenir le mythe de la jeune femme arrogante et trop sûre d’ elle, qui crée le buzz. Est-ce un crime ? Il semblerait que oui. D’aussi loin que je me souvienne, deux événements extra-musicaux ont concouru à accélérer cet amour-haine médiatique : un animateur a écorché son prénom lors d’une cérémonie de récompenses, et une photo d’elle au naturel a été postée sur les réseaux. Les médias, jouant sur cet état de fait, contribuent à être les représentants des technologies de pouvoir, orientant aisément les opinions des un.es et des autres, et disséquant les faits et gestes de la chanteuse.
L’essai de Robin Di Angelo, La fragilité blanche (Di Angelo, 2020), me vient à l’esprit lorsque je tombe sur certains titres d’articles. Il semblerait que les puristes blancs, amateurs de musique française, aient du mal à concevoir qu’Aya puisse être l’un des nouveaux visages de la pop française, et ce, en venant de la banlieue d’Aulnay Sous Bois. Ces « autres », longtemps cantonnés aux marges des zones banlieusardes, viennent se mettre au centre désormais et ça, ça a du mal à passer.
Je me dis que toutes ces jeunes et moins jeunes femmes en quête d’identité dans un pays qui la leur nie, ont trouvé leur modèle et cela contribue au succès fulgurant d’Aya, dont l’album éponyme vient de sortir. N’en déplaisent aux médias arcboutés sur leurs certitudes et aux hommes noirs, qui sont en haut de la liste des critiques d’Aya, grossissant le trait et se moquant de sa carrure et de sa peau foncée.
Pendant ce temps, Miss Nakamura brille.
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