Ecofest 2025 : talent au rendez-vous, organisation en chantier
La première édition du Festival Ouest‑Africain des Arts et de la Culture (Ecofest) s’est tenue du 30 novembre au 7 décembre 2025 à Dakar au Sénégal. Lancé au Grand Théâtre Doudou N’Diaye Rose sous le thème « Mutations et crises politiques en Afrique de l’Ouest : que peut faire la culture ? », ce rendez‑vous a rassemblé artistes, décideurs, créateurs et publics autour d’une ambition forte : faire de la culture un levier de cohésion, de paix et de développement régional. Organisé conjointement par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’Union économique et monétaire ouest‑africaine (Uemoa) et le Ministère de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme du Sénégal, l’Ecofest a cherché à traduire cette ambition en un programme riche en créations vivantes, en rencontres intellectuelles, en expositions et en performances
Si l’Ecofest a peiné à séduire le grand public, il a incontestablement brillé sur le plan artistique (Photo) : Première édition d’ECOFEST : la cérémonie d’ouverture au Grand Théâtre de Dakar
L’un des aspects les plus remarquables de cette première édition est la diversité des artistes et des traditions représentées sur scène. Plus de soixante‑dix spectacles ont ponctué la semaine, mêlant musique, danse, théâtre, expositions, projections cinématographiques et rencontres professionnelles.
La cérémonie d’ouverture au Grand Théâtre a réuni des figures majeures de la musique africaine : Sidiki Diabaté, maître malien de la kora, dont les compositions modernes résonnent comme un pont entre tradition mandingue et sonorités contemporaines. Gyakie, chanteuse ghanéenne devenue voix incontournable de la scène afro‑soul. Solange Cesarovna, provenant du Cap‑Vert, apportant les nuances créoles de la morna et du funaná. Ismaël Lô, l’icône sénégalaise dont la voix a traversé les frontières et les générations.
En plus des musiciens, le festival a accueilli aussi des ballets traditionnels et des troupes folkloriques représentant plusieurs pays membres de la Cedeao et de l’Uemoa. Ces performances ont mis en lumière des formes de danse et de théâtre provenant notamment de la Gambie, où des ensembles traditionnels ont fait vibrer le public avec des rythmes ancestraux soutenus par des percussions vivantes.
Des artistes de Guinée‑Conakry tels que Queen Rima, reconnue pour ses influences dancehall fusionnées à des sonorités africaines, ont également marqué les scènes du festival, c’est également le cas du groupe Suuxat, qui a impressionné par son univers musical atypique et la virtuosité naturelle de son chanteur, illustrant que l’Afrique de l’Ouest contemporaine demeure un espace de renouveau artistique en perpétuel mouvement.
Au‑delà de la musique, le programme de l’Ecofest a mis l’accent sur une palette étendue d’expressions culturelles. Des expositions d’art visuel ont été ouvertes au public dans plusieurs lieux emblématiques, notamment au centre culturel Blaise‑Senghor et à la Galerie nationale d’art. Des projections cinématographiques ont présenté une sélection variée de films ouest‑africains, mêlant fiction, documentaires et débats autour du rôle du cinéma comme miroir des transformations sociales contemporaines.
Parallèlement, des rencontres professionnelles ont permis à des gestionnaires culturels, des producteurs, des artistes et des représentants institutionnels de débattre des défis communs : protection des droits d’auteur, circulation des œuvres à l’échelle régionale, financement des industries culturelles et rôle du numérique dans la diffusion créative. Ces espaces d’échanges visaient à structurer davantage les écosystèmes culturels nationaux pour qu’ils convergent vers une intégration régionale plus forte.
Chaque soir, les performances ont décliné la richesse culturelle de la région. Des ballets traditionnels souvent porteurs de rites ancestraux et de récits historiques ont permis aux spectateurs de voyager à travers des esthétiques variées. Des ensembles de danse du Liberia, du Togo et de la Guinée ont conjugué gestuelles rituelles et techniques contemporaines, illustrant la manière dont la tradition et l’innovation peuvent se rencontrer dans des formes vivantes et dynamiques.
Ainsi, l’Ecofest a offert une plateforme à des danseurs de Togo, engagés dans des traditions spirituelles de mouvement, ainsi qu’à des troupes libériennes dont la gestuelle symbolique s’arrime à des récits historiques et sociaux. Ces moments ont enrichi le festival d’une dimension anthropologique et symbolique profonde, souvent absente des programmations strictement commerciales.
Le thème choisi pour cette édition les mutations politiques et sociales en Afrique de l’Ouest n’était pas anodin. Dans une région marquée par des transitions politiques, des crises économiques et des mobilisations citoyennes, la culture a été posée comme un outil de réflexion, de résistance et de recomposition sociale. À travers des panels et des tables rondes, artistes et intellectuels ont exploré comment les expressions artistiques peuvent contribuer à la cohésion sociale, à la construction de mémoires partagées et à l’affirmation d’identités régionales.
Lors de la cérémonie de clôture au Théâtre National Daniel Sorano, des représentants institutionnels de plusieurs pays ont rappelé l’importance de faire de la culture un facteur d’unité et de développement économique. Le commissaire de la Cedeao a valorisé le rôle des arts dans la construction d’une Afrique de l’Ouest plus intégrée ; l’Uemoa a souligné la nécessité d’investir dans les industries culturelles pour stimuler l’emploi et l’innovation ; et les délégations artistiques ont témoigné de l’impact des créations culturelles sur les imaginaires collectif
Malgré cette programmation foisonnante et ces moments forts, l’Ecofest n’a pas réussi à atteindre pleinement ses objectifs populaires. Une des principales critiques concerne la gouvernance administrative du festival, caractérisée par une composition du comité d’organisation exclusivement bureaucratique, sans intégration réelle de professionnels du spectacle vivant. Ce choix a conduit à une planification rigide, à des décisions souvent inadaptées au terrain, et à une déconnexion avec les attentes du public et des acteurs culturels locaux.
L’effet le plus visible de ce modèle a été un calendrier concentré sur les jours ouvrables, limitant l’accès du public et laissant plusieurs concerts et performances dans un climat d’affluence modérée, voire faible. L’absence d'anticipation de la communication et de promotion a aggravé cette situation : malgré la richesse de la programmation, rares ont été les occasions pour le public d’anticiper et de s’organiser pour y assister.
Cet écart entre ambition artistique et réalité opérationnelle s’est également manifesté sur le plan logistique. Les espaces dédiés aux artistes, tels que les loges et sanitaires, ont souvent été jugés insuffisants ou inadaptés à la demande ; la sécurisation des sites et la gestion des flux du public ont été perçues comme fragiles ; et certains services essentiels comme les badges d’accès et l’accueil des équipes ont souffert de retards. Ces éléments, bien que périphériques à la création elle‑même, ont fini par façonner l’expérience des participants et nuire à l’image collective du festival.
Pour beaucoup d’observateurs, y compris des acteurs professionnels tels que Daniel Gomes, président de l’Association des Métiers de la Musique au Sénégal, la prochaine édition devra être l’occasion d’une refonte structurelle. Gomes souligne l’urgence d’intégrer des producteurs, des directeurs techniques et des spécialistes de la communication au cœur de la gouvernance, afin de structurer l’organisation autour des exigences spécifiques du spectacle vivant et des industries culturelles.
Il préconise également une reconfiguration du calendrier, avec une distinction claire entre les activités professionnelles en début de semaine (conférences, panels, showcases) et les spectacles grand public les week‑ends, afin d’accroître l’accessibilité et l’impact populaire. Une planification anticipée, des standards techniques renforcés pour les lieux, une stratégie de communication étendue et le déploiement de contenus attractifs sont autant d’éléments qui, selon lui, permettront à l’Ecofest d’atteindre sa pleine dimension.
L’Ecofest 2025 laisse une empreinte contrastée. Il a confirmé l’exceptionnelle diversité et vitalité des expressions artistiques ouest‑africaines, tout en exposant les défis qui attendent les organisateurs pour transformer cette ambition en réalité durable. Le festival a été une scène d’échanges, de créativité et de dialogues essentiels, mais il a aussi montré que l’infrastructure organisationnelle doit évoluer pour accompagner la force des artistes et répondre aux attentes d’un public large et diversifié.
Pour sa seconde édition, l’Ecofest a l’opportunité de devenir un phare culturel régional, capable de fédérer les talents, de dynamiser les industries créatives et de construire un espace où la culture est à la fois célébration, réflexion et moteur de développement.
























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