Samuel Sangwa : « la rémunération pour copie privée peut financer l'action culturelle »
Avec à son actif, plus de 10 années d’expérience dans le secteur des industries culturelles et créatives (ICC), mais aussi dans la coopération internationale, Samuel Sangwa, acteur culturel aux origines rwandaises, est actuellement le directeur régional de la Confédération internationale des sociétés d'auteurs et compositeurs (CISAC) pour l'Afrique.
Dans cet entretien exclusif avec Lamine Ba, pour Music in Africa, il commente le rapport des collectes mondiales de la CISAC en 2022 et présente les plus grands chantiers de son organsation.
Bonjour Samuel ; tu es le directeur Afrique pour la CISAC et vous avez publié un rapport récemment, qui fournit des chiffres intéressants pour le continent. Peut-on dire que les indicateurs sont encourageants en ce qui concerne les collectes de droit d’auteur en Afrique ?
Effectivement la CISAC a publié son rapport mondial des collectes qui est le document de référence pour les données en rapport aux droits collectés pour les auteurs-compositeurs à travers le monde entier.
L'Afrique a collecté 75 millions d'euros et c'est un progrès, si on met ce montant en perspective avec les chiffres de la période Covid, où les collectes s'étaient effondrées de pratiquement 20 millions d'euros.
Donc dans la période pré-Covid, entre 2019 et 2020, l'Afrique collectait 80 millions d'euros mais en raison des mesures de confinement, notamment la fermeture des lieux d’exploitation des œuvres de l'esprit, on a perdu pratiquement 20 millions d'euros.
En somme, de la période de sortie de la crise Covid à aujourd'hui, nous avons fait un bond qui nous ramène à 75 millions d'euros. C’est encourageant, mais nous ne sommes pas encore arrivés au niveau où nous étions dans la période pré-covid.
Néanmoins, Il y a encore une marge de manœuvre assez significative pour accroître les collectes sur le continent. Donc on peut le dire, c'est bien - mais l'Afrique peut faire mieux !
Dans le rapport des collectes, on observe que le numérique occupe une place de plus en plus importante - et si on se projette, on pourrait même se dire que c’est l’un des secteurs qui va rapporter le plus aux créateurs. Qu’en penses-tu?
Le numérique s'impose effectivement comme une source de revenus appelée à croître rapidement. Quoique la majeure partie des revenus des droits collectés en Afrique provienne encore des radiodiffuseurs.
Les télévisions et les radios constituent la part majeure des collectes, mais on constate une croissance réelle du numérique.
Cette forme d’exploitation de la création s’est répandue sur le continent et elle a même été accélérée par la crise Covid. Tout le monde s'est rué sur le numérique pendant les périodes de confinement, le consacrant comme un modèle économique avec lequel il faudra désormais compter.
Le secteur du numérique est celui qui a enregistré la croissance la plus significative par rapport à aux autres, cela est vérifié dans notre rapport. Mais là aussi, cette croissance n’a été observée que dans quelques pays.
Sur l'ensemble du continent, il y a encore un travail à faire pour que les artistes profitent au mieux de cette opportunité.
Il y a une appétence certaine pour le digital ; il faudra donc que l’on développe nos capacités pour bien assurer les collectes auprès de ces services en ligne, comme on les appelle.
À Ouagadougou (Burkina Faso), à l'occasion des Rencontres Musicales Africaines (REMA) 2022, tu as parlé d'un phénomène important que l’on observe sur d’autres continents. Les sociétés de collecte de droit d’auteurs, qui étaient sensées être des organisations à but non lucratif, adoptent de nouvelles formes juridiques et cela est inédit. Comment appelle-t-on ce phénomène ? Devrait-on s’en inspirer ici en Afrique ?
Je ne sais pas s'il faut s'en inspirer, mais il faut être extrêmement attentif à ce changement dans le paysage de la gestion collective du droit d’auteur.
Cette mutation a été opérée par l'une des sociétés les plus emblématiques des États-Unis, la BMI ; elle a décidé de changer son modèle économique, passant du modèle classique où elle n’avait pas de but lucratif, à une configuration où elle peut désormais faire du profit. Cela indique bien que les sociétés doivent s'adapter à une demande…
Le but d'une société de gestion collective c'est de collecter les droits et les répartir ; sa forme en soi peut toujours être questionnée.
Sur le continent africain, la question reste posée de savoir si c'est ce type de modèle qu'il faudra envisager pour les 10 années à venir. Est-ce que nos sociétés sont prêtes à réussir cette transition et à la rendre la plus pertinente possible par rapport au numérique par exemple qui va crescendo ? C'est tout cela l'enjeu de la question, à mon avis.
Est-ce que les sociétés peuvent faire les investissements nécessaires pour rester efficaces par rapport aux demandes ?
Les formes d’exploitation sont en train de basculer, avec la montée du numérique, les sociétés doivent être en mesure d'investir, de se former, de s'équiper et d'avoir les infrastructures adaptées pour être compétitives dans un secteur bien dynamique.
C’est une réflexion que nous devons avoir, tout en préservant une certaine vigilance vis-à-vis de ce modèle inédit.
Au niveau de la CISAC nous allons suivre cela avec beaucoup d’intérêt et voir comment accompagner les sociétés sur le continent africain, pour qu'elles restent des outils au service des créateurs.
Au Rwanda, ton pays, on est passé d'une société de gestion collective à un bureau du droit d’auteur. Au Sénégal, c’est exactement la démarche inverse qui a été faite. Quel modèle te semble le plus efficient pour nos pays d’Afrique ?
Je vais m'appuyer sur deux exemples, les deux sociétés qui tiennent les rênes en Afrique dans les deux derniers rapports de la CISAC, sont celles de l’Afrique du Sud et de l’Algérie.
En Afrique du Sud on a la SAMRO, société privée de droits d'auteur et après elle vient le bureau algérien du droit d'auteur, qui est quant à lui, est un établissement de droit public.
Ce sont les deux meilleures sociétés et l’on peut bien constater que tant le modèle privé sud-africain, que celui public de l'Algérie, fonctionnent parfaitement.
La question n'est donc pas celle de la forme juridique ou de l'arrangement institutionnel, mais bien celle de l'efficacité du dispositif.
Quelles sont les législations mises en place ? Quelle est l'efficacité opérationnelle de la société établie ? Voilà les questions à toujours se poser.
Pour revenir au cas du Rwanda, à un moment donné, le modèle du type privé a montré des failles dans son déploiement. Là on est dans une phase de réforme et bien sûr, la question reste posée : en allant vers un régime public, va-t-on être plus efficace ? Il faut pour répondre à cette interrogation, observer l'environnement et être très attentif aux évolutions.
La Tanzanie par exemple, est une exception dans le monde anglophone. Elle avait une structure de type public, mais le gouvernement a décidé d'aller vers un modèle privé, semblable à celui de la Sodav au Sénégal.
C'est à chaque fois les acteurs en présence, les parties prenantes, l'écosystème ou encore l'environnement dans sa globalité, qui tire les conclusions par rapport à l'efficacité de la société de gestion collective.
Il faut rappeler que la gestion collective repose sur trois piliers : une législation, l'efficacité de la société de droit d’auteur et la capacité à faire respecter le droit d'auteur ; le troisième pilier est aussi une prérogative de l'État.
C'est lorsque ces trois éléments sont réunis, que l’on peut parler d’une gestion collective efficiente et vertueuse. C’est donc ces piliers-là qu'il faut renforcer.
Vous pouvez par exemple avoir une société efficace et de bonnes lois adoptées mais avec une limite dans leur applicabilité. Dans ce cas, vous rencontrerez probablement une résistance des usagers à payer, parce que il n'y a ni sanction, ni contrainte.
Ces 3 éléments forment un ensemble et pour nous, le plus important c’est d’y travailler. Il faut améliorer le cadre juridique, le cadre institutionnel, améliorer la société et renforcer ses capacités opérationnelles, sa gouvernance, sa technologie et assurer le respect du droit d’auteur dans le pays.
Samuel, j’ai une toute dernière question concernant le « bail out » ; c’est une locution que l’on entend désormais dans le monde du droit d’auteur. Que doit-on savoir de cela ? Vous avez également lancé une campagne dans ce sens, voudrais-tu nous en parler ?
Oui la campagne qui a commencé depuis un certain temps est surtout adressée aux auteurs et compositeurs de musique, sur cette pratique qui s’observe de plus en plus. Elle consiste pour certaines entités, à demander aux artistes de leur céder leur catalogue, mais aussi leurs droits présents et à venir contre un certain montant.
Cela représente un réel danger pour les revenus des créateurs à l'avenir, car en acceptant ces deals, ils se départissent des prérogatives économiques de leurs œuvres et les transfèrent à ces entité qui elles, vont encaisser tous leurs droits et ce, ad vitam aeternam...
Beaucoup de créateurs bradent ainsi leurs œuvres pour de petits prix et on pense que c'est par manque de compréhension des enjeux liés à ce type de contrat.
La campagne de sensibilisation que nous menons a un but pédagogique, pour préparer ces artistes à bien répondre aux entités qui les approchent. Il est nécessaire qu’ils aient une connaissance des implications de tels accords pour leur carrière et pour la vie de leurs œuvres.
Comme vous le savez, les droits liés à une œuvre de l’esprit peuvent s’étendre sur plusieurs années et générations. En signant ce genre d’accord, même vos héritiers ne pourront pas se prévaloir du patrimoine généré par vos créations.
Samuel, aurais-tu quelque chose à ajouter pour boucler cet entretien ?
Juste rappeler que nous travaillons avec acharnement sur la question de la rémunération pour copie privée. Pour cela, nous échangeons avec les états de l'espace régional, afin que le mécanisme soit adopté d'ici l'année prochaine et qu’il commence à être déployé.
Notre idée est de rencontrer un certain nombre d'acteurs, de les sensibiliser, mais aussi de mettre en place un mécanisme de plaidoyer pour faire comprendre à tous, ce qu’est la rémunération pour copie privée, sa valeur ajoutée non seulement pour les créateurs, mais aussi pour les états.
Il faut savoir que la rémunération pour copie privée dans certains pays comme le Burkina, constitue une part substantielle des collectes de droit. C’est ce mécanisme qui a permis aux créateurs burkinabés d'être soutenus et de faire du profit pendant la période assez critique de la crise sanitaire.
La rémunération pour copie privée peut aussi permettre de financer l'action culturelle sans la greffer au budget de l'État.
En plus de la restitution faite à Ouagadougou dans le cadre des REMA, nous avons organisé un séminaire régional à Dakar, les 17 et 18 novembre derniers, pour élaborer une feuille de route et solliciter des artistes afin qu'ils deviennent des porte-paroles de ce combat ; ils sont bien distincts de ceux qu'on appelle des ambassadeurs du droit d'auteur.
Nous avons été très heureux de nommer Alif Naaba, fondateur des REMA, comme ambassadeur de la rémunération pour copie privée dans l'espace UEMOA. On espère qu'avec sa voix, on va faire avancer ce combat pour que d'ici l'année prochaine, au niveau politique, la rémunération pour copie privée soit adoptée et que on puisse passer vers le processus de transposition de cette directive dans les législations nationales pour permettre à ce que d'ici un an ou deux ans, les créateurs puissent en profiter.
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