Affiche « On the Run II » : pillage ou hommage ?
L'emballement suscité par Black Panther n'est pas encore retombé que voilà le couple le plus puissant de l'industrie musicale mondiale révèle l'affiche de sa prochaine tournée, « On the Run II », directement inspirée du continent.
Pour annoncer leur prochaine tournée qui passe par l’Amérique du nord et l'Europe mais pas en Afrique, Jay-Z et Beyoncé ne se sont pourtant pas privés de s'inspirer du continent.
Publiée lundi, l'affiche, qui montre Jay-Z et Beyoncé assis sur une moto ornée d'un crâne à longue corne de taureau est un clin d'œil clair à un grand classique du cinéma sénégalais, Touki Bouki. La fin de la vidéo promotionnelle de la tournée fait aussi référence au film.
Réalisé par Djibril Diop Mambety, Touki Bouki (Le voyage des hyènes - 1973) raconte l'histoire d'un jeune couple à la « Bonnie et Clyde », qui complote pour voler de l'argent et fuir Dakar pour la France.
Dans le film, on voit le couple sur une motocyclette ornée d'un crâne à longue corne de taureau semblable.
Sur les réseaux sociaux, des férus de cinéma africain ont très vite relevé les similitudes entre l'affiche promotionnelle de la tournée des Carter et la production de Diop.
Le rappeur et chanteur, Teemour Mambety, neveu du chanteur sénégalais Wassis Diop et fils du réalisateur de Touki bouki affirme n'avoir pas reçu de demande relative à la production de cette image, néanmoins, il considère cette affiche comme un « hommage ».
Selon l'héritier du réalisateur sénégalais : « Si l'image est sciemment empruntée au film, on peut considérer la démarche comme un hommage. On doit saluer tout échange créatif dans le respect de l’intégrité des œuvres et de leurs auteurs.»
La nièce du réalisateur, Mati Diop est plus mitigée : « On dirait que c’est un directeur artistique qui leur a apporté l’image, et que personne ne s’est préoccupé de savoir quelle histoire artistique et politique il y a derrière. C’est déprimant et fascinant à la fois, l’insoutenable légèreté du mainstream.» a-t-elle déclaré.
Si certains médias ont condamné cet emprunt en expliquant que Beyoncé n'a jamais voulu se produire en Afrique, le sentiment qui semble l'emporter est la fierté, en a jugé la plupart des posts, sur les différents réseaux sociaux, particulièrement au Sénégal.
L'animatrice télé, Maimouna Dembelé, a partagé ce message sur Instagram : « L'image de Beyoncé et Jayz sur une moto est inspirée d'une scène du film sénégalais de Djibril Diop Mambety Touki Bouki en 1973 #Classic #Mambety #AfricaRiseAndShine »
Au même moment, l'écrivaine et contributrice sur Music In Africa, Ndèye Fatou Kane, partageait, sur Twitter deux photos côte à côte avec ce commentaire : « Quand Jay & Bee « s'inspirent » de Touki Bouki de Djibril Diop Mambety... »
Il faut dire que depuis le début des années 2000, le continent est très visible dans le travail créatif de Beyoncé. En effet, la chanteuse s'inspire régulièrement de l'Afrique.
Pour « Run The World (Girls) » de 2011, elle a appris le Pantsula, une danse originaire des townships d'Afrique du Sud pendant l'apartheid, et a invité de jeunes danseurs mozambicains à la rejoindre dans la vidéo.
En 2016, son album, Lemonade, emprunte encore plus à l'Afrique à travers des costumes et du folklore tirés du continent, et via des collaborations avec des artistes africains.
Aux grammys 2017, Beyoncé enceinte a voulu symboliser la déesse nigériane Oshun lors de sa prestation.
Bien qu'inspirés par l'Afrique Jay-Z et Beyoncé ne joueront dans aucune ville africaine pour cette tournée. Et, c'est justement ce que fustigent certains, accusant le couple de s'approprier la culture africaine. Selon eux, l'affect de Beyoncé pour l'Afrique n'est que de façade, la star ne serait attirée que par un intérêt économique.
Le phénomène de réappropriation est bien réel dans l'industrie musicale, lors des Gramy Awards 2018, une polémique a entaché la nomination de la compilation du Burkina Faso 1970, Bobo Yéyé : Belle Époque en Haute-Volta.
La nomination dans deux catégories : « meilleur coffret en édition limitée » et « meilleur album historique » de cet album a surpris les musiciens des anciens orchestres de Bobo-Dioulasso qui n’étaient pas au courant que leurs chansons avaient été utilisées pour les Grammy Awards.
On parle d'appropriation culturelle lorsqu’une personne d’une culture dominante s’accapare et reproduit les codes d’une culture minoritaire, sans en demander l’autorisation aux concernés. L'appropriation peut être assimilée à un pillage.
Dans le cas où une culture subit des discriminations, il n’est pas juste de prendre ses codes.
Le plus cocasse dans l'histoire, c'est que le film de Djibril Diop Mambety est une métaphore de l'Afrique exsangue, c'est-à-dire vidée de son sang, de sa richesse.
Quoi qu'il en soit, avec cette affiche de Jay-Z et Beyoncé, les débats vont bon train à travers le monde, et pour Monsieur et Madame Carter, ça roule... en attendant le prochain « clin d'œil » à la terre-mère.
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