L'impact des conflits sur l'industrie musicale au Niger
- Par Hevi Joel Gandi
Situé dans une région de fortes turbulences géopolitiques, le Niger est un vaste espace fragile confronté à des tensions armées récurrentes particulièrement dans le sud-est du pays, où des affrontements appelés par les médias « rébellion touareg » ont repris en 2012.
L’instabilité dans le nord du Mali et dans le sud de la Libye a empêché la protection correcte des frontières nigériennes de Tahoua et d’Agadez. L’aide militaire apportée aux forces nigériennes par les troupes tchadiennes et nigérianes n’a pas permis de faire cesser les crimes et les violences commises par les terroristes.
La mise en œuvre des opérations de la Force Multinationale Mixte (FMM) pèse énormément sur le budget et affaiblit l'État. Les autorités sont réduites à élaborer des mesures contre-insurrectionnelles comme la prolongation de l’état d’urgence mis en place en février 2015.
Cette décision administrative a eu comme conséquence : l’interdiction de certaines activités dont les concerts. Les conflits fragilisent l’économie en général et en particulier l’industrie musicale.
Bref rappel historique des spécificités des conflits nigériens
Le Niger a globalement mieux résisté aux assauts des terroristes que le Mali, victime du même problème. Cette relative résistance est due à une méthode de résolution des conflits et à la géographie.
Dès juillet 2016, les autorités nigériennes ont imposé aux communautés de la région de Diffa d’arrêter de former des milices. Le pouvoir nigérien a choisi de conserver le monopole de la violence légale. Ce positionnement dans la résolution du conflit a évité la prolifération de milices disant chacune porter les revendications d’une communauté.
Autre force du Niger : sa situation géographique particulière. En effet, Agadez (à 950 km de Niamey, la capitale) n’est pas séparée du reste du Niger par un obstacle naturel tel un fleuve. Agadez a toujours été une cité commerciale, un lieu de brassage ethnique.
Le lien avec le reste du Niger n’ayant jamais été rompu géographiquement et les autorités politiques veillant à maintenir un équilibre régional en confiant des responsabilités dans le gouvernement aux ressortissants de toutes les régions, les rébellions ont plus de mal à s’ancrer dans des localités telles qu’Agadez.
La chanson engagée et la perception de la musique au Niger
La société nigérienne n’étant pas polarisée en une mosaïque d’ethnies grâce à la politique, à la géographie et aux mariages entre membres de différentes communautés, la musique n’a véritablement jamais eu besoin de chanter abondamment et spécifiquement la paix malgré les attaques terroristes.
Les artistes nigériens s’engagent plus souvent lors des campagnes électorales en faveur d’un candidat, ce qui peut déplaire au pouvoir en place et provoquer même l’arrestation d’artistes. L’artiste Hamsou Garba a été accusée d’incitation à la désobéissance civile et incarcérée[i] en février 2016.
Mais à aucun moment les chansons ayant provoqué l’incarcération de l’artiste n’avaient remis en cause l’unité nationale.
Les conflits étouffent la scène musicale
En 2014, surviennent les attaques de la secte terroriste Boko Haram dans la région de Diffa. La dégradation de la situation sécuritaire freine l’industrie musicale.
Avant ces assauts, il y avait chaque mois à Diffa, au moins 4 spectacles de musique. La baisse de l’activité culturelle est considérable car entre janvier et juillet 2017, seuls 8 spectacles ont eu lieu selon les données fournies par Ali Master, un chanteur originaire de cette région située au sud-est du Niger. Cette zone n’est plus une escale sûre pour des tournées musicales.
Pendant longtemps, la région de Diffa liée à une tradition islamique ancienne est restée imperméable aux idées de la secte terroriste Boko Haram. Mais dans les années 2000 les prédications de Mohamed Yusuf, pionnier du mouvement terroriste, ont eu un impact considérable dans la région.
Les adeptes de Boko Haram ont une attitude radicale à l’égard des pratiques artistiques et musicales. Ils reprochent aux artistes musiciens de diffuser une culture obscurantiste, perverse pour l’Islam.
Les artistes locaux sont contraints de produire leurs œuvres hors de Diffa, dans d’autres régions, ou à Niamey, la capitale du pays. La psychose collective créée par les dénonciations anonymes complique la circulation des œuvres.
La diffusion des œuvres est quasi-inexistante. Les radios communautaires locales (Tin-Touma à N’Gourti et Dilleram à N’Guimi) diffusent rarement de la musique.
Sans espaces de diffusion et d’expression, l’expression musicale agonise au Niger.
Initiatives pour remettre en marche l’industrie musicale nigérienne
Dans les zones touchées par les conflits armés, on observe des efforts pour remettre en marche des structures publiques ou privées telles que : les maisons de culture et de jeunes, les médias, les rares studios n'ayant pas été détruits, les discothèques, etc.
Dans la région d’Agadez au nord du pays, la musique a moins souffert des rébellions. En effet, la musique était utilisée comme outil de résistance. Les sonorités locales étaient un moyen sûr pour se faire entendre dans une guerre dont l’un des enjeux était l’affirmation de l’identité touarègue.
Il y a une interaction entre l’action rebelle et la musique. Des groupes musicaux comme Takrist N’Akal diffusent une conscience musicale rebelle. En 2005, ils enregistrent l’album Desert Rebels. Ce dernier s’inscrit dans une logique de mobilisation et de résistance.
L’exemple du groupe Takrist N’Akal inspire d’autres projets musicaux portés vers le même registre et soutenus par des partenaires étrangers (producteurs, réalisateurs, etc.).
À la fin de la rébellion en 2010, des actions de structuration de l’environnement musical sont soutenues par des partenaires de l’État nigérien. Certains musiciens de la région bénéficient alors d’une bourse de mobilité artistique.
Des moyens techniques sont mis à la disposition des structures impliquées dans l’industrie musicale. Des artistes locaux inspirés par la culture hip-hop sont aussi encouragés à suivre des formations techniques pour faciliter la production.
Mais à Diffa, les actions de soutien aux artistes musiciens tardent à se réaliser à cause de la menace terroriste qui reste toujours forte et contraignante.
La résistance face à la censure s’observe surtout via l’activité des discothèques et des rares médias présents dans les zones libérées de Boko Haram.
En juin 2017, la région de Diffa a accueilli la tournée musicale de Barakina qui est un rappeur chantant en langue Haoussa.
Aux actions précédemment citées, s’ajoutent l’action humanitaire : des remises de dons aux réfugiés de Boudori et des concerts caritatifs menés par le label Art-Disc Record en juillet 2017 dans les villes de Diffa et de Mainé-Soroa.
Conclusion
Après les périodes de net recul de l’activité culturelle et musicale à cause de conflits armés, l’industrie musicale renaît dans les localités libérées de l’emprise des extrémistes religieux de la secte Boko Haram.
L’un des principaux défis pour la résistance au terrorisme et les efforts de reconstruction de l’environnement musical dans les zones affectées par les conflits armés au Niger est d’augmenter l’implication des acteurs culturels privés locaux. Il faut également multiplier les actions de relance menées par les pouvoirs publics.
Références
Ouvrages
Deycard Fréderic. Les rébellions touarègues du Niger : combattants, mobilisations et culture politique. Science politique. Institut d’études politiques de Bordeaux, 2011.
Lawel Chekou Koré. Rébellion touareg au Niger : approche juridique et politique. Science politique. Université René Descartes - Paris V - 2012.
André Salifo, La question touareg au Niger, « éditions Karthala, Condé-sur-Noireau (France) ».
Rapport
Le Niger face à BokoHaram : au-delà de la contre-insurrection, rapport Afrique Crisis Group N°245 du 27 février 2017
Sites Web
Afrique.lepoint.fr/culture/musique-touareg-niger-mdou-moctar-des-reves-plein-le-cheche-09-04-2031044_2256.php
www.afrik.com/music/niger/pays/42
www.nigerdiaspora.net
fr.unesco.org/creativityprofessionnels-de-musique-de-laudiovisuel-au-niger-se-forment-législation-sur-froit-dauteur-limpact
www.nigerinter.com/2017/04/la-renaissance-culturelle-expliquee-aux-nigériens
Koaci.com/m/phenomene-musique-‘’anawaya’’-vogue-niamey-69371-i.html
Interview de Ali Master, artiste chanteur, réalisée par Joël Gandi, le 25-08-2017
[i] http://www.actuniger.com/societe/11185-justice-l%E2%80%99artiste-hamsou-garba,-soutien-de-hama-amadou-lib%C3%A9r%C3%A9e.html
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