L'industrie du disque en Éthiopie
L'Éthiopie est un haut lieu du jazz à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Au cours de cette période, Addis-Abeba est connu sous le nom de "Swinging Addis" (que l'on peut traduire par Addis la ville dansante) et la scène musicale est en pleine ébullition. Mais tout cela change en 1974 lorsqu'une dictature militaire renverse le régime de l'empereur Hailé Sélassié et impose un couvre-feu, réprimant toute expression artistique et ce jusqu'en 1991. La scène musicale florissante disparait du jour au lendemain.
Ce texte offre un aperçu de l'industrie du disque en Éthiopie au fil des ans.
Le contexte historique
Alors que l'industrie du disque est en pleine croissance pendant le règne d’Hailé Sélassié, les enregistrements se font lors des spectacles en live. Il n’y a alors aucun studio d’enregistrement.
L’empereur exprime son intérêt et son engagement pour la musique par la création de l’Imperial Bodyguard Band et de l’orchestre de la police [i]. Il fait notamment venir 40 professionnels arméniens pour assurer l’enseignement de la musique et la création d’ensembles modernes.
Hailu Disasa, Lemma G. Hiywot, Melkamu Tebeje, Tamirat Molla, Tatek G. Wold et Menilik Wosnachew sont quelques-uns des artistes de renom qui enregistrent leur musique avec les nouvelles technologies introduites à l'époque.
En 1969, Amha Eshèté lance son label Amha Records au moment où l’édit de 1948, qui déclare que la musique ne peut être enregistrée que par un organisme gouvernemental, est toujours en vigueur. L’association rattachée au théâtre national, dirigée par Hagere Fiker Maheber [ii], ne peut produire les artistes éthiopiens et toute musique dite moderne, laissant la tâche au label. Amha risque alors l'emprisonnement pour la production d’artistes modernes. Alemayehu Eshete est le premier artiste à enregistrer sous son label qui produit environ 250 single en cinq ans [iii].
Même si la croissance du label ne fait que frustrer Maheber, l'immense popularité du label entraine la suppression de l'édit de 1948.
La réussite d’Amha Records encourage la création de deux autres labels éthiopiens notamment Philips Ethiopia Records et Kaifa Records, fondés par Ali Tango. Kaifa aurait produit 53 disques entre 1973 et 1977.
Lorsque la junte militaire s’empare du pays, Eshèté est forcé de s’exiler aux États-Unis, où il vivra pendant vingt ans. Le sort du label est lié à la répression du régime de Mengistu sur les peuples en Tigré et en Érythrée. Ces provinces du Nord se composent d'une ancienne colonie italienne, autonome après la Seconde Guerre mondiale mais annexée par l'Empereur Sélassié Ier en 1962 [iv]. Le gouvernement Mengistu réprime brutalement tout effort déployé par cette région pour accéder à l'indépendance.
Censuré par deux gouvernements, le dernier enregistrement d’Amha Records ne voit jamais le jour car le chanteur Tèklè Tesfa-Ezghi est d'origine Érythréenne. Tesfa-Ezghi et le père d’Eshèté sont emprisonnés pour leurs affiliations pro-indépendance.
La plupart des enregistrements éthiopiens se déroulent entre 1969 et 1978. Les enregistrements de Tilahoun Gessesse, Bezunesh Bekele, Hirut Bekele, Mahmoud Ahmed, Ali Birra et Alemayehu Eshete, représentent l'âge d'or de la musique éthiopienne. La musique instrumentale est associée à Mulatu Astatké, l'unique défenseur de l'Éthiojazz à l’époque et Getachew Mekurya.
Les labels
Si la technologie facilite la production, l'industrie n'a pas encore atteint le niveau de professionnalisme constaté dans d'autres pays africains. Les enregistrements en Éthiopie ne se font pas d’une manière institutionnalisée. Les artistes continuent à produire leur musique chez eux ou dans de petits studios, ce qui les rend vulnérables aux critiques. Cependant de nombreux artistes vivant à l'étranger continuent de produire de la musique éthiopienne.
A titre d’exemple, l'AIT [v], un label basé aux États-Unis, se spécialise dans la musique éthiopienne contemporaine, traditionnelle et instrumentale. Depuis 1989, l'AIT cherche à promouvoir la culture éthiopienne sur la scène internationale. Fondé par Aman Adinew, le label fournit également des services de gestion d'artistes et représente de célèbres artistes Éthiopiens notamment Abegasu Kibrework Shiota, Henock Temesgen, Fasil Wuhub, Dawit Mellesse et Girma Wolde Michael.
De nouveaux genres de musique émergent aujourd’hui. Par exemple, Mikael Seifu [vi] est un artiste et producteur de musique électronique. Il fusionne la musique des Azmaris à son propre son, ce qu'il appelle 'la musique électronique éthiopienne’.
Mikael Seifu nait et grandit en Éthiopie. Adolescent, il passe ses journées à télécharger les chansons de 2Pac et Master P. Encouragé par son père et par son désir de réussir, il s'inscrit au New Jersey Ramapo College, où il étudie la production musicale et l'industrie de la musique. C’est en participant à une conférence à Manhattan, qu’il se rend compte de la complexité de l’industrie et de ses sous-secteurs. Son premier EP, Yarada Lij, s’inspire d’une longue liste d'influences musicales éthiopiennes, du folk africain, du projet Addis Acoustic, Ben Neill, Burial, Zion Rebels, Air, Röyksopp et du reggae.
Abraham Wolde [vii] est un producteur, auteur et acteur éthiopien. En 1997, Abraham quitte l'Éthiopie pour étudier la musique à Atlanta. Il maîtrise son art et devient le cerveau derrière l’album Balageru, album le mieux vendu dans l’histoire de la musique éthiopienne. Le succès de cet album lui a valu le respect des professionnels de l'industrie de la musique. Wolde comprend son auditoire et son grand talent est reconnu notamment sur son CD Chewata, qui fusionne comédie et musique. Il sort également Balageru 2, un hommage aux paysans Éthiopiens. En septembre 2007, il revient avec Balageru 3. Au début de 2008, Abraham Wolde rejoint RCE/Konvict Muzik (le label d'Akon) en tant que producteur. Il ouvre également un studio d'enregistrement ultramoderne à Addis-Abeba.
Selam Sounds [viii] est un autre label éthiopien, fondé en 2006 avec pour vision de promouvoir et produire une musique d’avant-garde et authentique. Le label produit récemment le groupe folklorique Ethiocolor. Selam Sounds est géré par un organisme indépendant, non gouvernemental et à but non lucratif avec des bureaux à Stockholm et Addis-Abeba.
[i] http://ethio-pain-music.blogspot.co.ke/
[ii] http://www.technobeat.com/Ethiopique/ADDIS.html
[iii] http://www.tadias.com/05/18/2012/how-ethiopian-music-went-global-interview-with-francis-falceto/
[iv] https://musicsoundslike.wordpress.com/2014/05/03/ethiopiques-and-the-golden-age-of-ethiopian-music/
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